Modibo Mao Makalou, Economiste : “Les Etats doivent assurer l’accès aux produits de première nécessité aux populations vulnérables”

Alors que les décideurs politiques et économiques s’arrachent pour faire face à une inflation galopante à travers le monde surtout pour les couches les plus vulnérables, le Fonds monétaire international (FMI) prédit une économie mondiale très difficile pour 2023. Faut-il prendre les prévisions du FMI au sérieux ? Comment stopper cette inflation et éviter une récession ? Ci-dessous les explications de Modibo Mao Makalou, économiste.

Mali Tribune : Qu’est-ce que d’abord une inflation et quelles en sont les causes ?

Modibo Mao Makalou : Tout d’abord l’inflation, c’est la hausse généralisée et durable des prix à la consommation pour les biens et services des ménages. Elle se traduit généralement par une dépréciation de la monnaie qui est en cours dans le pays, c’est pour cela que les banques centrales sont chargées de maintenir la stabilité des prix.

La dépréciation, c’est quand vous avez le même montant et que vous obtenez moins de biens et services. Et, quand il y a une appréciation, avec le même montant vous obtenez plus de biens et services. Donc le taux d’inflation désigne la variation en pourcentage que les prix enregistrent au cours d’une période donnée. Le contraire de l’inflation, c’est la déflation. Mais l’inflation est causée par plusieurs facteurs.

Ça peut être l’inflation par les coûts par exemple quand le maraicher avec la hausse du coût du gas-oil qu’il doit mettre dans sa motopompe pour arroser ces produits, les prix augmentent, évidemment puisque son coût de production augmente et sera répercuté sur le prix final du produit qu’il vend sur le marché. Nous avons aussi une inflation par la demande s’il y a très peu de fournisseurs pour un produit et que la demande augmente par rapport à ce produit, le prix de ce produit va augmenter parce que la demande est supérieure à l’offre.

En dehors de cela, il y a l’inflation par la monnaie quand on octroie trop de crédits aux ménages et aux entreprises ça leur permet de consommer davantage ce qui fait que la demande va augmenter. Si l’offre ne suit pas, les prix vont augmenter encore. Il y a aussi l’inflation par les structures, si vous n’avez qu’un seul fournisseur sur le marché ce dernier peut imposer le prix qu’il veut car il n’a aucun concurrent sur le marché.

Mali Tribune : La dernière fois vous avanciez que pour certaines monnaies quand on a l’équivalent de 100 F en dollars US en 2020, aujourd’hui ça ne vaut que 1 F en termes de dollars US. Mais avec le F CFA si vous aviez 100 F en janvier 2022, aujourd’hui cela peut procurer 85 F de biens et de service. Comment l’inflation peut avoir des effets sur le pouvoir d’achat de la monnaie ?

M.M. M. : Vous parlez de l’hyper inflation. En référence pour le premier cas à une monnaie d’un pays d’Amérique du Sud qui s’est dépréciée de 99 % par rapport au dollar US et le second cas c’est l’euro et le F CFA qui se sont dépréciés de 15 % par rapport au dollar US en 2022. La monnaie, c’est une unité de compte mais aussi une réserve de valeur.

Donc si votre monnaie est de bonne qualité, elle doit permettre de préserver sa valeur et de préserver le pouvoir d’achat. C’est-à-dire si vous avez 1000 F aujourd’hui ça doit vous permettre d’acheter 1000 F de biens et de services dans un futur proche. Mais si vous avez 1000 F aujourd’hui et dans une semaine cette somme vous procure moins de 1000 F de biens et de services ça veut dire que cette monnaie s’est dépréciée rapidement qu’elle est de moins bonne qualité et que votre pouvoir d’achat a diminué.

Mali Tribune : Les conséquences d’une inflation galopante à travers le monde continue de peser sur le quotidien des populations les plus vulnérables. Comment stopper cette inflation et éviter une récession ?

M. M. M. : C’est une question d’offre et de demande. Par rapport au pouvoir d’achat, la politique économique a pour objectif essentiel d’améliorer les conditions de vie des populations. Cela peut passer par la politique fiscale, la politique monétaire soit par les deux. Maintenant, si vous voulez que les populations augmentent leurs revenus par rapport aux prix en conséquence le pouvoir d’achat va augmenter et la population améliorera ses conditions de vie.

Maintenant, il y a une attention particulière pour les produits de première nécessité qui sont consommés par toutes les populations. Comme il se trouve que les populations vulnérables qui ont les revenus les moins élevés dépensent une proportion plus grande de leur revenu sur l’alimentation. Et, dans un pays comme le Mali on estime que l’alimentation c’est au moins èé&40% à 50% des revenus des ménages les plus pauvres. Ce que l’Etat doit faire, c’est d’assurer que les produits de première nécessité soit accessibles à toutes les populations mais surtout aux couches les plus vulnérables.

Concernant la récession, c’est difficile d’y remédier. Vous savez le commerce mondial, c’est l’offre et la demande et si vous avez des chocs exogènes au niveau mondial comme la Covid-19 ça va jouer négativement sur la production et la demande des biens et services. En plus de la Covid-19, il y a la guerre en Ukraine qui a fait augmenter les prix de l’énergie (carburant, gaz…), des céréales et des intrants agricoles sans compter le coût du fret maritime.

Mais l’idée, c’est de faire en sorte que l’Etat à travers une politique budgétaire et fiscale subventionne certains produits de première nécessité pour alléger les souffrances des populations les plus vulnérables.  Il faut aussi que l’Etat facilite les crédits à certaines entreprises faisant face à des difficultés de trésorerie. Mais la tradition est que quand l’inflation augmente généralement les taux d’intérêt augmentent et cela renchérit le crédit et la consommation des biens et services et donc contribue à faire baisser les prix.

Toutefois, on peut avoir à faire à la stagflation, c’est lorsque le coût du crédit a augmenté de même que les prix des biens et des services et que l’économie connait aussi une récession. Il n’y pas de solutions toute faites mais l’idéal, c’est que le gouvernement accorde une attention particulière aux couches les plus vulnérables soit par des subventions directes temporaires soit par des subventions aux prix à travers les marchands pour contrer l’inflation.

Mali Tribune : Mais le FMI dans son rapport prédit déjà une économie mondiale très difficile pour 2023 ce qui peut engendrer des fortes tensions dans de nombreuses régions du monde. Faut-il s’attendre au pire ?

M. M. M. : Bon, le FMI fait des prévisions de croissance. Quand on parle de croissance, on parle de la croissance économique du produit intérieur brut (PIB). Il s’agit de l’activité économique. Quand l’activité économique croit les revenus croissent et quand les revenus croissent et surtout quand ils sont bien redistribués de manière inclusive au sein de la population, ça permet d’améliorer les conditions de vie des populations. C’est comme avoir une boule de cristal quand on fait des prévisions. Mais c’est une dynamique. Tout peut arriver un cessez-le feu dans la crise en Ukraine ou une exacerbation du conflit peuvent avoir un effet immédiat sur l’économie mondiale et l’inflation.

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

SourceMali Tribune

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