Dr Aly Tounkara : «Malgré les améliorations, la Minusma ne répond pas aux attentes des Maliens»

Est-ce qu’on peut aujourd’hui dire que la Mission onusienne ne sert à rien au Mali ? Quelles peuvent être les conséquences d’un retrait précipité et non concerté de la Minusma ? Voilà autant de questions sur lesquelles, Dr Aly Tounkara, directeur et expert défense et sécurité du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), livre son analyse

D’entrée de jeu, le chercheur soutient que les différentes manifestations synchronisées demandant le départ de la Minusma à travers le pays prouvent à suffisance que les attentes des Maliens dans leur écrasante majorité ne correspondent pas à la nature du mandat de la Mission onusienne au Mali. Selon Dr Aly Tounkara, beaucoup de Maliens attendaient ou attendent toujours de cette Mission qu’elle soit combative et anti-terroriste.

Or par sa nature, elle ne l’est pas mais est plutôt une force d’interposition entre les mouvements armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation et les éléments des forces de défense et de sécurité. Pour le spécialiste des questions de défense et de sécurité, quand on regarde les différents chantiers amorcés par la Minusma, ils sont utiles pour le développement. Mais beaucoup de Maliens diront que les besoins qui sont satisfaits en partie par la Mission là où elle intervient ne sont pas en phase avec ce qui est attendu d’elle.

Le chercheur signale que les Maliens qui vivent dans les zones où la Mission est sérieusement ancrée, n’ont pas forcément la même lecture où la même perception de son utilité. En effet, les populations vivant dans les localités où la Mission onusienne est présente voient davantage ce qu’elle apporte en termes de développement, d’employabilité des jeunes plutôt que la sécurisation proprement dite des populations. C’est pourquoi, Dr Tounkara dira qu’il y a un conflit de perceptions en fonction du positionnement des acteurs et des enjeux en cours.

D’après lui, les perceptions qui sont pour le maintien de la Mission mettent l’accent plutôt sur les opportunités qu’elle offre, les questions d’employabilité, de développement. Le chercheur soutient à cet effet que plusieurs milliers de Maliens ont un contrat direct avec la Minusma. Lesquels ont tous un salaire plus élevé que celui d’un cadre A malien. En plus des emplois directs, il fait remarquer qu’un nombre important de Maliens vivent aujourd’hui des dividendes de la présence de la Minusma à travers les emplois indirects comme les sociétés de prestation. Ce sont tous ces enjeux qui expliqueraient pourquoi certains soutiennent le maintien de la Mission.

AMÉLIORATIONS- Dr Aly Tounkara estime que les relations entre le Mali et la France expliqueraient un peu un certain nombre de soulèvements contre la Mission. Il explique que parmi ceux qui sont pour le départ de la Minusma, certains soutiennent l’argumentaire selon lequel elle serait instrumentalisée ou à la merci de la France. Aussi, il révèle que seul le chef de la composante Police est un Français. également, il y a beaucoup de décideurs de la Mission qui ne sont pas forcément du même avis que la France.

Le chercheur fait remarquer que la Minusma a connu beaucoup d’améliorations grâce aux actions des autorités de la Transition. Les autorités maliennes ont exigé que tous les drones de la Minusma aient une autorisation préalable avant de mener une quelconque opération. Et dans le même temps, dans la base qui abrite ces drones, aucun ne décolle aujourd’hui sans la présence d’un élément des Forces de défense et de sécurité du Mali.

De la même manière, aucun aéronef de la Minusma ne peut décoller sans l’autorisation des autorités militaires. Et la délivrance de cette autorisation est conditionnée à la fourniture des informations sur l’équipage, les personnes à bord, l’itinéraire à emprunter, la cible visée ou l’objectif recherché par la Mission.

Notre spécialiste déplore que ces exigences ne soient pas portées à la connaissance du public malien. Il en est de même pour les efforts consentis par le ministère des Affaires étrangères et celui de la Défense afin que la Minusma corresponde davantage aux attentes des Maliens.

Concernant son utilité, il faut reconnaitre que la Minusma rend service quand les routes sont difficilement praticables, entre juin et septembre, dans certains endroits du pays. Aussi, la Minusma, à travers des drones pilotés par le contingent allemand, fournit un certain nombre de renseignements à l’Armée malienne sur les mouvements des groupes armés terroristes. Dr Tounkara rappelle aussi que le transport des troupes maliennes est parfois assuré par la Minusma. Même si de plus en plus, il y a moins de demandes dans ce sens parce que l’Armée malienne est en train d’étoffer sa flotte.

«Auparavant, la Minusma assurait beaucoup le transport des militaires maliens vers le Centre et le Nord. Mais aujourd’hui, on peut dire qu’une telle demande est de moins en moins formulée par l’état-major du Mali», précise-t-il. Un autre élément que le chercheur trouve important, c’est la présence symbolique de la Minusma. Selon lui, l’aspect psychologique est important dans cette guerre. Et l’arsenal militaire dont dispose la Mission effraie l’ennemi, le pousse à réfléchir par deux fois avant de s’attaquer à une position quelconque ou de commettre des forfaitures dans une localité où elle est présente.

RENOUVELLEMENT DU MANDAT- Le directeur du CE3S pense que la Mission en l’état ne peut aucunement contribuer à lutter efficacement contre le terrorisme parce qu’elle n’est pas conçue dans ce sens et tout le problème est à ce niveau.

Le chercheur révèle qu’effectivement, il y a des plans et des stratégies déjà mis en œuvre ou en cours pour permettre à l’état malien dans 3 ans à 5 ans maximum, de demander le départ de la Minusma de façon ordonnée et concertée. Il estime qu’il y a déjà un sérieux problème quand au renouvellement du mandat de la Minusma. Qui va jouer le rôle de porte-plume du Mali pour autoriser le renouvellement du mandat de la Mission après que les autorités maliennes ont demandé que ce statut soit retiré à la France ?

Selon notre interlocuteur, pour être porte-plume, il faut être l’un des pays membres permanents du Conseil de sécurité. Il se demande si la Russie serait prête à endosser cette responsabilité car cela a des implications financières. «Est-ce que la Russie est en bons termes avec les États-Unis pour garantir le financement la Mission ?», se demande Dr Tounkara, qui rappelle que la Mission est financée par les Nations unies à travers un certain nombre de pays.

«Est-ce que la Russie peut aujourd’hui mobiliser le reste de la communauté internationale pour le financement de la Minusma ? Est-ce que la Chine accepterait de porter le dossier du Mali au regard de la neutralité qu’elle entend garder ?». Autant de questions qui demeurent sans réponses pour le moment.

Dieudonné DIAMA

L’Essor

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