Concertations nationales sur la Transition: les Maliens encore floués et trahis

Pour tous ceux qui savaient lire de façon lucide le développement de la situation après l’action menée par de jeunes officiers le 18 août 2020 ayant conduit à la démission d’IBK, la dissolution du Gouvernement et de l’Assemblée nationale, ne pouvaient avoir de doute à conclure que notre pays n’est pas encore sorti de la longue nuit…
L’espoir né suite à l’action du 18 août, laquelle a été le parachèvement de la lutte héroïque du M5/RFP, a été de courte durée. Les forces du Changement ont été coiffées au poteau à l’issue des Concertations nationales sur la Transition.
À la lecture des conclusions des travaux et les dénonciations des responsables du M5/RFP, on peut dire sans risque de se tromper que les Maliens ont été floués et trahis de nouveau.
Le CNSP, qui ambitionne d’apporter le salut à notre peuple, a confisqué les débats et s’est nettement positionné dans le camp de ceux qui ont plongé le pays dans la misère et le chaos.
Non seulement, il a organisé et orchestré la liquidation du M5/RFP, pourtant apparu comme son partenaire naturel et légitime, mais il a également vidé la substance des conclusions largement favorables à une Transition Civile.
Pire, la Charte adoptée à l’issue de la rencontre ne fait aucune référence au combat légitime du M5/RFP et aux nombreux martyrs tombés au cours de cette lutte !
Les «experts» frauduleusement introduits dans les différentes Commissions pour les noyauter ont pris soin d’apporter des rajouts à la Charte alors même qu’ils n’ont pas été soumis à débats. Il s’agit notamment :
– Des prérogatives du Vice-président de la Transition ;
– De la Composition et du mode de désignation des membres du collège qui vont élire le Président de la Transition ;
– L’acte fixant la clé de répartition entre les Composantes du Conseil National de Transition.
Aussi, les débats sur les réformes majeures qui doivent être menées par la Transition ont été soigneusement occultés : les assises nationales de refondation de l’État et de notre Démocratie, la réforme du Code électoral, de la Charte des partis…
Dans un contexte politique marqué par une crise multidimensionnelle (politique, sécuritaire, territoriale, institutionnelle, morale et sociale), la Transition Démocratique dans son contenu et ses orientations devrait éviter le retour des forces politiques et sociales responsables de la faillite et du chaos que connait le Mali.
Elle devrait éviter l’approche fourre-tout et les hésitations, définir clairement la perspective stratégique et ôter toute possibilités à ces forces rétrogrades de manœuvrer dans la confusion pour continuer à préserver leur position, défendre et promouvoir leurs intérêts et faire échec à l’avènement d’un Mali nouveau pour lequel des Maliens ont payé un lourd tribut (23 morts et 150 blessés).
Elle ne devrait nullement chercher à maintenir un statuquo déguisé entre ceux qui ont acquis des situations de privilège, accumulé des fortunes colossales par la corruption, le pillage des ressources naturelles, minières, l’instrumentalisation des institutions, la trahison des intérêts fondamentaux de notre peuple et ceux qui en ont été victimes.
Parce qu’il ne peut exister d’identité d’intérêts et d’objectifs entre ceux qui sont responsables de la faillite et du chaos, et l’immense majorité des maliens qui ont été victimes de cette gestion catastrophique et qui se sont mobilisés pendant de nombreuses années à l’intérieur comme à l’extérieur du pays avec le soutien des peuples d’Afrique et d’Europe, pour faire aboutir cette révolution citoyenne dont le succès constituerait un exemple historique sans précèdent.
Le succès de cette Transition reposait sur plusieurs conditions :
– Éviter dans la conduite des réformes politiques et institutionnelles majeures à venir, les réaménagements et le saupoudrage, lesquels n’auront d’autre but que de calmer provisoirement les frustrations, les injustices, ajourner les profondes aspirations des Maliens au changement véritable.
Et pour avoir cherché à éviter de tomber dans ce piège, et exiger la démission sans condition d’Ibrahim Boubacar Keita, les dirigeants et militants du M5/RFP subissent les attaques les plus perfides organisée par ceux-là dont la mission est de délégitimer son combat, mettre sur un même pied d’égalité les défenseurs du régime défunt et ceux qui l’ont vaincu, ouvrir la voie royale (en l’absence d’un programme d’assainissement et de lutte sans quartier contre la corruption et l’enrichissement illicite), à leur retour au pouvoir.
– Combattre sans faiblesse les analyses réductrices et faussement hypocrites selon lesquelles, le Comité National pour le Salut du Peuple doit être une « force neutre », « située à égale distance de toutes les autres composantes politiques » ;
– S’atteler de toute urgence à la défense de la souveraineté et de la constitution du Mali ; la récupération par tous les moyens des ressources financières et des biens volés à l’État, le renforcement et l’équipement des forces armées maliennes et de sécurité pour reconquérir toutes les parties du territoire qui échappent au contrôle de l’État et désarmer tous les groupes armés, assurer la maitrise totale de l’État sur l’intégralité du territoire national ; satisfaire les revendications justes et légitimes des catégories socio-professionnelles auxquelles le gouvernement déchu a toujours répondu par des manœuvres dilatoires, des louvoiements et même des provocations ; des mesures immédiates d’amélioration du pouvoir d’achat des populations au revenu modeste pour leur permettre de mener une existence digne (diminution des prix des denrées de première nécessité, accès aux médicaments, au logement) ;
– Se défaire de l’emprise des faux experts et marchands d’illusion qui veulent nous imposer « leur pensée unique » en réalité, l’expression d’une idéologie dominante qui légitime leur seul choix de politique économique, de société, de vie en nous les présentant sous forme de vérité absolue et immuable et en nous privant de toute possibilité de développer une réflexion autonome nous permettant de bâtir une vraie démocratie, des institutions fortes, un Etat souverain, maitre de son destin. Par les moyens des instruments de propagande et d’enfumage des esprits (notamment les médias étrangers au service des intérêts néocoloniaux), ils cherchent à nous divertir, nous fourvoyer dans des faux débats. Leurs adeptes, comme des perroquets, nous matraquent sans cesse avec leurs concepts oiseux de « tournant générationnel », de « renouvellement de la classe politique », escamotent délibérément les vrais enjeux qui doivent mobiliser notre peuple en cette phase cruciale de son histoire.
D’autres questions essentielles et déterminantes pour l’avenir même de la nation n’ont pas été abordées. À savoir, la présence des armées étrangères sur le sol malien, l’accord de défense avec la France, la mise en œuvre des accords issus du processus d’Alger.
Au regard de l’échec qui se profile à l’horizon, on peut dire que le CNSP en portera seul la responsabilité politique et morale. Les actes qu’il a posés depuis le 18 août 2020 démontrent à suffisance qu’il n’est pas venu pour changer le Mali.
Il a tout simplement changé d’équipe, en maintenant le même système de jeu, les mêmes règles et méthodes qui consacreront infailliblement la victoire des forces qui ont mis à genou notre pays. Il n’a pas l’intelligence de la situation qui lui commande d’établir cette articulation et cette complémentarité nécessaires avec les hommes et les femmes qui rêvent d’un autre Mali.
Le M5/RFP tirera-t-il les leçons de cette rupture opérée par le CNSP qui cherche à remettre en selle ces personnalités politiques fabriquées par l’ancien régime d’IBK au détriment même de dirigeants légitimes de l’ancien parti au pouvoir et de certains de ses alliés et dont les turpitudes ont mis le pays dans le gouffre?
Le M5/RFP, qui a sonné l’alerte, doit maintenir la mobilisation et la vigilance. En plus, il doit se soumettre à l’indispensable autocritique sur quelques errements tactiques constatés tout au long des jours et semaines qui ont précédé la démission d’IBK, extirper de ses rangs les éléments dégénérés en état de décomposition morale et politique et se mettre en ordre de bataille. C’est notre seule voie de salut !

Nouhoum Keita

Info-Matin

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