TRAFIC ET CONSOMMATION DE TRAMADOL AU MALI ; De fracassantes révélations
Ayant les propriétés d’une drogue, le tramadol est un antalgique censé atténuer les douleurs fortes chez les personnes souffrantes. Mais il est utilisé à d’autres fins par de nombreux jeunes de Bamako, ce qui constitue un vrai danger de santé public pour les consommateurs et un commerce juteux pour les trafiquants.
Alors qu’il est l’antidouleur le plus prescrit, le tramadol fait l’objet d’une surveillance accrue du fait de ses effets secondaires et de ses risques. La vente de cet opiacé doit uniquement se faire sur prescription médicale et le traitement doit s’étaler sur une durée bien précise à cause de la dangerosité de ce médicament. Cependant, les trafiquants ont trouvé des astuces pour contourner la surveillance et sont parvenus à mettre clandestinement des millions de comprimés sur le marché Bamakois. Alors une lutte sans merci est déclenchée entre l’Office Centrale des Stupéfiants et les contrebandiers.
Les bénéfices de cette drogue sont, en effet, très alléchants. Selon une enquête, nous avons pu déterminer qu’un seul comprimé de tramadol coûterait 700 F CFA contre 7OOO F FCA la plaquette qui contient 10 comprimés. Il se présente sous différente forme, au niveau des dosages et la présentation physique du comprimé. Il existe le Tramadol de 150 Mg, 200 Mg et 225 Mg. Le plus répandu à Bamako est le 225 mg.
Sous le pseudonyme MG, une vendeuse ambulante de ce médicament nous confiera que sa vente est une vraie aubaine. « Lorsque je parviens à vendre un paquet, je peux réaliser des bénéfices qui avoisinent les 15.000 F CFA. Je ne peux avoir cela dans aucun autre médicament », révèle-t-elle.
Elle a souligné le danger permanent qui l’a guette lorsqu’elle livre le produit à ses clients ou lorsque des gens viennent se ravitailler. « Je dois être très vigilante envers ceux à qui je vends mes produits. Je suis consciente du fait que la vente de ce médicament est interdite et certaines personnes pensent même que c’est de la drogue. Les policiers nous traquent sans cesses alors je suis toujours sur mes gardes et je ne vends pas à n’importe qui »
La vente de tramadol est interdite dans de nombreux pays africains et surtout au Mali. L’office central des stupéfiants mène un combat sans merci contre les contrebandiers et les consommateurs de cette drogue qui fait des ravages dans la capitale et dans plusieurs régions du Mali. Le 30 novembre 2021, l’OCS avait procédé à l’incinération des produits toxiques dans le commune de Dio dans le cercle de Kati pendant laquelle 20160 de comprimés avaient été détruits. Symbole d’une lutte acharnée contre ce stupéfiant par les autorités maliennes.
Les bienfaits selon les consommateurs
Mamady est un jeune consommateur de ce produit depuis 4 ans. Il affirme être en bonne santé. « Tout ce que racontent les gens sur ce médicament est un mensonge. Je ne vois pas pourquoi on l’appelle drogue. C’est un comprimé comme les autres », dit-il.
Notre interlocuteur dira que cette ‘’ drogue’’ lui procure beaucoup de biens car grâce au tramadol il parvient à faire son travail de fossoyeur. « Quand je prends deux comprimés, je peux travailler du matin jusqu’au soir sans trop me fatiguer et sans ressentir la faim. Je n’ai jamais été malade mais le seul problème, c’est le prix. Ça coûte de plus en plus cher et il faut faire attention quand on l’achète car on risque la prison », fait-il croire.
Outre Mamady, OM, un orpailleur de Kéniéba, ne compte pas arrêter sa consommation de sitôt. Selon lui, dans le village où il travaille, 80% des jeunes y sont accro. « Si tu ne prends pas de tramadol, tu ne pourras pas travailler. Ce que nous faisons est très dur alors lorsque nous sommes sous l’effet de cet antalgique, on ne sent plus la peur ni la fatigue. On travaille sans relâche et on ne sent pas trop de mal quand on est au repos », témoigne notre interlocuteur.
Par contre, il a affirmé être témoin d’un de ses compagnons, également consommateur, qui a été pris de convulsion et qui a failli mourir. « N’eut été l’intervention immédiate du docteur de la commune, il aurait perdu la vie. Il avait avalé 7 comprimés ce jour-là, c’était trop », explique-t-il.
MS, marié à deux femmes, ne cache pas sa passion pour cette drogue. Il confesse que c’est grâce à la consommation de ce médicament qu’il parvient à accomplir ses devoirs conjugaux. Ainsi, selon lui, ce médicament serait un puissant aphrodisiaque qui permettrait à son consommateur de décupler sa virilité : « Quand je prends le tramadol, mes performances sexuelles sont au top. C’est la principale raison pour laquelle j’en consomme ».
En se basant sur les différents témoignages reçus, on peut aisément comprendre que l’utilisation de cette drogue varie d’une personne à une autre. Pendant que certains s’en servent pour exécuter des tâches physiques ardues, d’autres par contre s’en servent comme aphrodisiaque.
Avis d’un médecin sur la question
Selon un médecin qui nous avons interrogé, les prises de ce médicament sont à l’origine de milliers de décès et d’overdoses. Il affirme aussi que le tramadol provoque fréquemment des troubles digestifs, comme les nausées et la constipation, des vertiges, la bouche sèche, la somnolence. Il ajoute également que la revue Prescrire soulignait le risque de troubles du rythme cardiaque et d’hypoglycémie, particulièrement dangereuse chez les personnes âgées.
En outre, il peut entraîner une dépendance à la fois physique et psychologique, notamment en cas d’utilisation prolongée à doses élevées. Il y a également un risque d’accoutumance, où il devient nécessaire d’augmenter la dose pour obtenir le même effet. D’autre part, le tramadol serait le médicament le plus impliqué dans les surdosages involontaires, explique-t-il.
Par contre, le médecin affiche sa crainte face aux flux de ce comprimé en provenance de l’Inde. En effet, les Indiens sont entrés dans la danse en fabriquant cet antalgique avec un dosage beaucoup plus élevé, ce qui constitue un réel danger de santé. « L’année dernière, on a eu un problème après une intervention chirurgicale. Après l’opération, nous avons administré des antidouleurs à faibles doses à un patient et vu que ce dernier était un grand consommateur, notre anti douleur n’a eu aucun effet sur lui et il a passé toute la nuit à se tordre de douleur » se rappelle-t-il. Avant de révéler : « Parfois, on nous amène des jeunes qui ont subi une crise d’épilepsie suite à une consommation accrue du tramadol. Sans secours immédiat, ces personnes peuvent perdre la vie ».
« Le tramadol doit donc être prescrit après une analyse minutieuse des bénéfices et des risques, en fonction du profil du patient. Il est à éviter en cas d’antécédent de dépendance à d’autres médicaments ou de substances », conclut-il.
Qu’en est-il en Afrique de l’Ouest ?
Plaque tournante de la drogue depuis 20 ans, l’Afrique est confrontée en 2021 à une augmentation sans précédent du trafic de stupéfiants. De la route du Golfe de Guinée, à la traversée du Sahel, où groupes djihadistes et milices ont la haute main sur tous les trafics, le tramadol circule sans grande difficulté. En provenance de l’Asie principalement de l’Inde et de la Chine, cette drogue s’est répandue sur le continent de façon spectaculaire.
Il n’existe pas de données fiables sur la consommation de drogues en Afrique de l’Ouest. Cependant, on estime que l’usage abusif de Tramadol a fortement augmenté, notamment au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Depuis quelques années, dans la ville de Gao par exemple, un nombre croissant de jeunes hommes et femmes consomment des comprimés acheminés du Niger. Si le Sahel est particulièrement concerné, cette région de l’Afrique de l’Ouest est loin d’être la seule affectée. Selon des données du Réseau épidémiologique sur l’usage des drogues au Nigeria (NENDU), 71 % des usagers nigérians d’opiacés sur l’année 2015 ont déclaré que le Tramadol était le produit le plus fréquemment consommé.
Une étude publiée en août 2019 dans la revue Scientific Reports a montré que le tramadol pouvait favoriser les hypoglycémies (taux de sucre anormalement bas dans le sang). Les auteurs américains ont recommandé « de surveiller les taux de glucose lors de l’initiation du tramadol ou de la méthadone chez les patients diabétiques et non diabétiques » et de privilégier d’autres analgésiques opioïdes ou non opioïdes plus sûrs pour les patients présentant un risque d’hypoglycémie ou de complications associées à l’hypoglycémie.
Ahmadou Sékou Kanta
Source : Miroir Hebdo