Togo: un destin contrarié
Alors que ce petit pays d’Afrique de l’Ouest s’apprête à aller aux urnes, le 22 février, pour une élection présidentielle qui suscite beaucoup de scepticisme, l’on ne peut oublier que cette ancienne colonie allemande avait tout, à l’indépendance, pour rayonner et briller dans la sous-région : une élite de qualité, un « leadership » clairvoyant.
Alexis Guilleux : Le Togo vote dans deux semaines pour la présidentielle. À pu s’exprimer, cette semaine, sur RFI, vous avez pu entendre chacun des candidats à l’élection du 22 février. Les auditeurs aussi ont pu échanger sur les réalités politiques de ce pays. Que retenir des divers plaidoyers auxquels on a eu droit de la part des candidats ou de leurs représentants ?
L’on se perd, sincèrement, entre les candidats de l’opposition – qui dépeignent à l’excès un pays qui a tout du bonnet d’âne de la classe ouest-africaine en matière d’état de droit et de la démocratie -, et le représentant du candidat du pouvoir, tellement immergé dans une leçon bûchée à la virgule près, qu’il s’oublie, pour abîmer le tableau idyllique que décrit son texte : Faure Gnassingbé aurait donc, selon lui, « hérité d’un pays socialement délabré, économiquement exsangue et politiquement divisé ». Mais, alors, de qui, sinon de ce père dont il tenait son unique légitimité, en 2005 ? Discréditer ainsi l’héritage du général dont même les opposants semblaient relativiser les lacunes montre à quel point les Togolais doivent être embrouillés par ces monologues définitifs. Et ceux qui connaissent un tant soit peu l’histoire de ce pays ne peuvent qu’avoir un pincement au cœur.
Pourquoi donc ?
Parce que ce pays n’était pas parti pour vivre une médiocrité assumée. Alors, si vous le permettez, oublions, un instant, cette campagne, pour parler du Togo et de ce qui aurait dû être le destin extraordinaire du peuple togolais.
À la différence de nombre d’anciennes colonies ou territoires sous tutelle française, son indépendance n’a pas été octroyée au Togo. Les Togolais n’ont, certes, pas fait la guerre, mais ils ont mené une lutte parfois mouvementée, avec des brimades, de graves incidents, des morts, pour conquérir, dans la douleur, leur indépendance.
Puisque le Togo et le Cameroun ont la même histoire, on dira qu’au Togo, c’est comme si l’UPC avait gagné et conduit le pays à l’indépendance. Et Sylvanus Olympio était au Togo ce que Um Nyobe a été au Cameroun. Il était un sujet brillant. Polyglotte, parlant le français, l’anglais, l’allemand, le portugais, le yoruba, l’éwé, et d’autres langues africaines. Diplômé de la London School of Economics, il a travaillé comme cadre, puis Partner, directeur-associé, chez Unilever, dont il deviendra patron pour le Nigeria, puis l’Afrique de l’Ouest.
Le pouvoir colonial le somme alors de choisir entre sa carrière dans le secteur privé et la vie politique. Il démissionne et va solder ses comptes au siège parisien d’Unilever. À peine est-il rentré que le pouvoir colonial lui colle une procédure pour violation de la loi sur les changes. Il est aussitôt déclaré inéligible, juste avant les élections territoriales.
Persuadé que son parti, sans lui, allait perdre, le gouverneur ne prend pas d’autres dispositions pour favoriser le Parti togolais du travail, réputé favorable à une indépendance octroyée. Tous seront surpris par la victoire écrasante des nationalistes togolais. 1957. Sylvanus Olympio est donc appelé à conduire le gouvernement local, sous la loi cadre de Gaston Defferre, qui visait, ne l’oublions pas, à faire émerger une élite locale disposée à préserver les intérêts de la France, pour faire simple.
Les nationalistes camerounais seront liquidés dans le maquis. Sylvanus Olympio, lui, le sera au pouvoir. Le 13 janvier 1963, il est assassiné à son domicile, des demi-soldes, des soldats togolais démobilisés de l’armée française à la fin de la guerre d’Algérie. Les chercheurs togolais découvriront que l’officier français que l’on suspecte d’avoir manipulé ces militaires togolais avait, auparavant, sévi au Cameroun, contre les leaders de l’UPC, dans le maquis. Son nom est connu. Le président Olympio en avait hérité comme conseiller militaire, et n’a pas eu le temps de se renseigner sur qui il était, encore moins de s’en séparer à temps…
Il se trouve que cet assassinat est survenu la veille de la mise en circulation d’une nouvelle monnaie nationale, parce que Olympio, comme les jeunes d’aujourd’hui, estimait que l’on ne pouvait pas être indépendant avec la monnaie d’autrui…
Olympio ne bénéficiait-il donc pas du soutien de son peuple et de quelques États voisins ?
Le peuple togolais, en tout cas dans sa bonne moitié sud, est un peuple qui a fui les guerres au Ghana, en partant vers l’Est. D’autres, partis vers l’ouest, sont les Akans de Côte d’Ivoire, qui ne sont pas plus guerriers. Quand ils entendent les coups de feu, ils se terrent. À l’intérieur du pays, cet homme cultivé, sûr de son fait, avait aussi quelques ennemis, qui pouvaient le trouver trop autoritaire. Et, pourquoi le cacher, les leaders, notamment des partis de la jeunesse auxquels il était lié ont, pour quelques-uns, fini en prison.
Dans la sous-région, Olympio était, de fait, isolé. Kwame Nkrumah, le grand panafricaniste, président du Ghana, voisin de l’ouest du Togo, avait, à la faveur d’un référendum controversé, annexé ce qu’on appelait le Togo britannique. C’est comme si le Nigeria avait annexé l’actuel Cameroun occidental, les anglophones. Olympio n’était donc pas le meilleur ami de Nkrumah. Ses autres voisins le trouvaient trop sûr de lui. Houphouët-Boigny, comme Senghor, d’ailleurs, disait détester ses airs « anglo-saxons », pour ne pas dire hautains.
Et en Occident ?
Sylvanus Olympio était néanmoins respecté en Grande-Bretagne, où il a fait une des écoles les plus prestigieuses. Il était respecté en Allemagne, dont il parlait parfaitement la langue. Il était respecté aux États-Unis, où il a été reçu en grande pompe par John Kennedy, le président des États-Unis, qui s’est déplacé en personne pour l’accueillir à l’aéroport, il a eu droit à une parade, sur Broadway (seul Houphouët-Boigny, chez les francophones, a eu droit à de tels privilèges). Mais Olympio a aussi été l’invité de Meet The Press, une des plus importantes émissions politiques du dimanche, dans laquelle, pendant toute une heure, il répond aux questions des journalistes qui comptent, dans une des plus grandes audiences des États-Unis.
Cet homme avait la formation, l’expérience et la volonté nécessaire pour construire une nation magnifique. Les indicateurs du Togo, à sa mort, étaient meilleurs que ceux de n’importe quel autre pays de la zone Franc. Les Anglais, les Américains et les Allemands lui avaient même apporté un soutien financier pour créer sa monnaie. Le général de Gaulle, par contre, le lui refuse.
Et, en une nuit, tout s’est effondré, moins de trois ans après la proclamation de l’indépendance. Au Cameroun, les leaders charismatiques ont été achevés dans le maquis. Au Togo, le Um Nyobe national a su se jouer du pouvoir colonial, mais il n’aura pas tenu plus de trois ans après l’indépendance.
RFI