Mobile money : Les tarifs en question

Les frais de retrait de 5.000 Fcfa via Orange money coûtent 190 Fcfa au client Les consommateurs jugent prohibitifs les prix pratiqués par les opérateurs. Pis, dans un pays voisin, les transactions coûtent moins cher. Nous avons approché les acteurs du secteur pour trouver des explications à cette situation.

Déposer, retirer ou transférer de l’argent depuis son téléphone portable, cela est aujourd’hui possible grâce aux innovations technologiques. Fruit de cette autre révolution industrielle, le mobile money a bouleversé les habitudes dans le secteur financier grâce à sa flexibilité et son adaptabilité aux réalités des usagers. Les habitants des zones enclavées ou reculées et mal desservies par les services financiers classiques envoient et reçoivent de l’argent depuis leurs téléphones.

Cette avancée notoire participe à l’inclusion financière en tirant vers le haut le taux global de bancarisation. En dépit de ce progrès, des disparités de tarification entre abonnés de différentes zones sont constatées et déplorées par les clients. Au Sénégal voisin par exemple, les frais de retrait pour un dépôt de 5.000 Fcfa via Orange money coûtent 50 Fcfa, contre 190 Fcfa pour la même opération au Mali. Comment comprendre cette disparité ? Existe-t-il véritablement un mode de tarification en la matière ?

A ces questions les acteurs concernés apportent des réponses diverses. à l’Autorité malienne de régulation des télécommunications, des technologies de l’information et de la communication et des postes (AMRTP), le service en charge de l’économie et de la concurrence travaille sur cette problématique. Rencontrés à leur bureau, à l’ACI 2000, ses responsables notent : «Pour le profane, tout ce qui a trait au mobile money, est géré par le régulateur l’AMRTP, tout simplement parce que le service est rendu au moyen des ressources de télécommunication».

Dans la réalité, tranchent-ils, le volet finance ne relève pas directement de l’Autorité de régulation, il doit être assuré par la Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). «C’est à cette institution financière de prendre en charge toutes les mesures nécessaires pour pouvoir réguler ce secteur, car il s’agit plus de finance que de technologie», soutient-on à l’AMRTP, ajoutant que c’est la BCEAO qui délivre aux opérateurs l’autorisation d’exercer cette activité financière.

PLUS DE 10 MILLIONS DE CLIENTS- Contactée par courrier, la Banque centrale répond qu’elle ne régule ni ne fixe les tarifs des opérations effectuées via le mobile money. Les tarifs sont fixés librement par les établissements concernés, explique le directeur national de la BCEAO pour le Mali, dans une lettre en réponse à notre requête. Par ailleurs, rappelle Konzo Traoré, les opérateurs ont l’obligation de mettre à la disposition de leur clientèle, de façon accessible, les conditions tarifaires applicables à leurs opérations.

Interrogé à ce propos, le chef de la division communication, animations commerciales, relations publiques et sponsoring d’Orange-Mali, rencontré à son bureau à Hamdallaye ACI 2000, explique qu’Orange-Sénégal est une filiale indépendante de celle du Mali. Aussi, ajoute Ibrahim Manau Kanté, la baisse tarifaire dans ce pays obéît à la loi du marché et à l’environnement des affaires. Il explique : «Aujourd’hui, Orange-Mali dispose de 90.000 points de vente Orange Money. Vouloir faire une baisse tarifaire brutale impacte directement les revendeurs».

Cela ne doit en aucune manière servir d’alibi pour surfacturer les consommateurs, analysent des observateurs. Ceux-ci pensent qu’au Mali les prix restent élevés à cause certainement de l’absence d’un concurrent de la taille d’Orange-Mali.

Une évidence qui est confirmée par des statistiques officielles. Selon le rapport trimestriel d’analyse des données télécoms/Tic d’avril à juin 2020, le nombre de comptes mobile money déclaré par les opérateurs s’élève à près de 10.570.376 clients au 2è trimestre contre 7.342.280 clients au 1er trimestre, soit un taux de croissance de 44% environ. La plateforme «Orange Money» enregistre le plus grand nombre de comptes avec 8.090.243 clients, contre 2.480.133 clients pour «Mobicash», désormais appelé «MoovMoney».

Le document de 44 pages relève une forte souscription de comptes chez Orange-Mali au cours de la période avec un taux de croissance de 64,12%. Le parc MoovMoney enregistre lui aussi de nouvelles souscriptions, les comptes passent de 2.412.869 clients à 2.480.133 clients au 2è trimestre, soit un taux de croissance de 2,78%. La plateforme Orange Money demeure toujours leader de ce marché avec une part de marché qui passe de 67% à 77% au 2è trimestre. Les pertes de part de marché pour MoovMoney au cours de la période s’élève à 23%, selon le rapport.

DéSILLUSION-Toujours selon ce rapport, les commissions perçues sur les transactions financières mobiles (retraits, transferts et paiements) se chiffrent environ à 18,511 milliards de Fcfa au 2è trimestre contre 18,090 milliards de Fcfa au trimestre précédent, soit un taux de progression de 2,32%. Le chiffre d’affaires généré par le mobile money au cours de la période est dix fois supérieur au chiffre d’affaires de la téléphonie et deux fois supérieur à celui de l’Internet, analysent les experts de l’AMRTP pour qui, le dynamisme du secteur fait du mobile money un relais de croissance pour combler les pertes de valeur chez les opérateurs.

Les clients Orange Money jugent cette appréciation de la situation inacceptable et anéantirait, selon eux, les espoirs que ce service moderne avait suscités. Usager de ce service mobile, Seydou Diallo est un vieux retraité. Il trouve que c’est abusif de constater qu’un même opérateur peut avoir des tarifs différents dans deux pays voisins. «C’est la désillusion», regrette-il.

Certains consommateurs dénoncent la position de monopole de l’opérateur, tandis que d’autres pointent du doigt la complicité tacite de l’organe national de régulation et des associations de défense des droits des consommateurs. Kibili Demba Dembélé est de ceux-là. L’activiste pense que seule une action citoyenne conjuguée peut mettre fin à ce qu’il considère comme un abus de position dominante. Il préconise à cet effet un boycott.

En 2015, rappelle Kibili Demba Dembélé, une campagne de boycott avait fait bouger les lignes. Notre interlocuteur révèle qu’un grand mouvement est en gestation avec la participation de plusieurs associations de consommateurs, d’activistes, de chroniqueurs radios et vidéo, et des agents d’Orange Money qui se sentent lésés. Le but est de dénoncer la cherté des tarifs du mobile money.

Membre de l’Association des consommateurs maliens (Ascoma), Cheich Abd El Kader Fofana confirme que son organisation est au courant de cette différence entre les tarifs de retrait. Il explique que l’Ascoma ne peut pas intervenir sans une plainte.

Babba B. COULIBALY

SourceEssor

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