Lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite : le décret du scandale ou comment protéger ses arrières
Dans notre dernière parution, nous avons fait une présentation et une analyse du Décret n° 2023-0275 du 03 mai 2023 que le Gouvernement a adopté, lequel décret étend le champ des marchés couverts par le secret-défense et les intérêts stratégiques de l’État qui a, selon son article 17 un effet rétroactif quand il dispose qu’il prend effet à compter du 1er août 2023.
Nous nous sommes interrogés sur le but visé par ce décret. Ce seul but visé par le Gouvernement à travers ce décret est, d’une part, la prise en charge à posteriori de marchés conclus en violation du Décret n° 2014-0764 du 9 octobre 2014 et, d’autre part, la couverture et la protection légales pour certaines personnes en les exonérant ainsi.
En attendant les marchés et les personnes en cause, ce décret passe difficilement et ne peut pas et ne doit pas être accepté à tous points de vue.
Toujours est-il qu’il peut être considéré comme illégal dans sa disposition lui conférant un effet rétroactif. En effet, la Directive n° 04/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public dans l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) dont il est la transposition dans la législation nationale ne prévoit nullement la rétroactivité. Elle n’en offre par ailleurs pas la possibilité.
Il est encore illégal quand il exempt de contrôle les marchés concernés alors que la Directive n° 05/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005 portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public dans l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ne prévoit pas une telle exemption.
Il est enfin illégal car par l’exemption de contrôle, il est contraire au Décret n°2015‐604/P‐RM du 25 septembre 2015 portant Code des marchés publics et des délégations de service public dont il est pourtant un acte d’application.
Au regard de tout, il va s’en dire qu’au détour de la première action devant le juge, ce décret sera annulé si tant est que le droit est dit.
Obligation de contrôle des marchés
S’agissant du contrôle, compte tenu des normes communautaires ci-dessus évoquées, que sont la Directive n° 04/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005 portant Code des marchés publics et la Directive n° 05/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005 sur contrôle des marchés publics ainsi que le Code des marchés publics du Mali et nonobstant le sceau du secret-défense et des intérêts stratégiques de l’État, les marchés en question ne peuvent pas être à l’abri de contrôle contrairement à ce que le décret dispose à son article 2, car au Mali, depuis l’emblématique dossier de l’avion présidentiel et des équipements militaires, les marchés frappés dudit sceau sont assujettis au contrôle des différents corps, que sont le Bureau du Vérificateur Général, BVG, le Contrôle des Services publics et la Section des Comptes de la Cour Suprême. En effet, ces deux marchés qui ont été contrôlés et vérifiés aussi bien par le Bureau du Vérificateur Général que par la Section des Comptes de la Cour Suprême disaient bien qu’ils avaient été conclus sur le fondement de l’article 8 du Code des Marchés Publics et dans sa réponse au Vérificateur Général l’ancien ministre de la Défense et des Anciens Combattants a invoqué le secret-défense. Cela n’a pas empêché le Vérificateur General de continuer et de conclure sa mission. Or, à défaut de l’arrêter purement et simplement il devait y surseoir et prendre l’avis de la Section administrative de la Cour Suprême, seule habilitée à interpréter les textes dans ce cas. Mais, il a écarté l’argument disant que le vide juridique ne constituait pas une source législative bien que la Constitution dise pourtant à son article 11 que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.
Ainsi, les marchés que le décret tente de couvrir peuvent et doivent être contrôlés ne serait-ce que pour voir, d’une part, s’il y a pas eu de surfacturation comme aiment à le dire les maliens et, d’autre part s’ils ont respecté les principes énoncés à l’article 2 de la Directive n° 04/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005, repris par le Code des Marchés Publics, à savoir l’économie et l’efficacité du processus d’acquisition, le libre accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats, la reconnaissance mutuelle et la transparence des procédures, et ce à travers la rationalité, la modernité et la traçabilité des procédures.
Source : La Nouvelle République