En Afrique, les musiciens au front contre le Covid-19

De Dakar à Kinshasa, de Madagascar à Abidjan, quel que soit leur style musical ou leur génération, un nombre considérables d’artistes du continent mettent leur notoriété au service du combat contre le Coronavirus. Cette mobilisation massive, canalisée et diffusée pour l’essentiel par les réseaux sociaux, prend des formes multiples et témoigne d’une préoccupation à la mesure du danger inhérent à la pandémie.

À l’image, une représentation stylisée et personnifiée du Covid-19, avec ses spicules rouges sang, marche d’un bon pas, tandis que résonnent quelques notes de piano : « Le monde ne comprend pas ce virus qui tue. La planète en confinement, qui l’aurait cru ? » interroge Smarty d’une voix grave sur Alerte Corona, au clip évocateur. Le rappeur burkinabè a décidé de s’engager en musique avec l’Unicef pour essayer de tordre le cou aux fausses informations persistantes qu’il entendait circuler au sujet de la pandémie naissante. « Les rumeurs disent que c’est maladie de Blancs. Que Mamadou le guérisseur a son médicament (…) Monsieur rumeur finira par enterrer l’Afrique », poursuit le lauréat du prix RFI Découvertes 2013, avant de lister les bonnes pratiques à adopter pour éviter la propagation du virus.

Le signal avait été donné dès le 14 mars à Dakar par Youssou N’Dour : conscient du danger qui guettait son pays comme le continent, et assumant les responsabilités liées à son statut, cette figure internationale de la musique africaine avait lancé l’Opération Daan Corona. « Nous devons tous nous lever comme un seul homme pour soutenir les actions du gouvernement en vue de lutter contre le fléau », assurait l’ancien ministre de la Culture, qui fut particulièrement touché par la disparition du Camerounais Manu Dibango, un de ses modèles, victime du Covid-19. Depuis, il a multiplié les actions pour que ce soutien se concrétise, mais s’est aussi attaché à adapter aux circonstances actuelles une de ses anciennes chansons, Gaindé.

Utiliser la musique comme outil de sensibilisation, c’est le créneau choisi entre autres par son jeune compatriote Wally Seck : celui qui incarne la relève du mbalax et fait danser le Sénégal aujourd’hui a enregistré pour l’occasion la chanson Digglé, avec un clip auquel ont participé nombre de personnalités locales pour donner plus de poids au message – tandis que la mélodie a été influencée en filigrane par A nos actes manqués, l’un des plus grands succès du Français Jean-Jacques Goldman.

Les rappeurs aussi

Les représentants des musiques urbaines ne sont pas en reste : apparu en 2011 pour pousser le président Abdoulaye Wade vers la sortie, le mouvement Y’en a marre s’est de nouveau manifesté avec Fagaru Ci Coronavirus pour apporter sa contribution à la lutte contre la pandémie, sous l’impulsion du rappeur Fou Malade. Ses alter ego Ngaka Blindé et Fata el Présidente ont de leur côté monté un autre collectif ad hoc pour Covid-19, auquel participe entre autres, Didier Awadi. « La mort, je l’ai vu de près : Jean-Michel est mort, ça fait deux jours. Qu’il repose en paix », chante l’ancien patron de PBS, en référence au journaliste culturel Jean-Michel Denis, décédé du virus.

À travers le continent, tout un répertoire consacré à la maladie est ainsi apparu en à peine deux semaines. Au Mali, le trentenaire Iba One, très populaire auprès des jeunes générations, s’est impliqué à son niveau avec la chanson Coronavirus, présentée comme faisant partie de sa « riposte face à la pandémie qui secoue le monde entier ».

En Guinée, Avant qu’il ne soit trop tard est l’œuvre d’un collectif de chanteurs au sein duquel se trouve notamment le reggaeman Takana Zion, tandis qu’en Côte d’Ivoire, fidèle à sa réputation d’artiste à textes – ce qui n’est pas la caractéristique première du coupé-décalé –, DJ Kerozen invite à se débarasser du virus avec Corona OutMême discours pour la star congolaise Ferre Gola, dans son message-chanson We’re Fighting Coronavirus, délivré à la fois en anglais et en français. Son aîné Koffi Olomidé, éternel roi de la rumba, pousse la métaphore encore plus loin « Le virus est dehors, partout. Méchant, vorace et barbare. Enfermons nous, comme en temps de guerre. L’ennemi n’a pas de visage », prononce-t-il avec une pointe d’emphase sur Coronavirus Assassin.

Dans ce contexte, le message que le duo togolais Toofan avait fait passer en 2013 avec Se laver les mains est redevenu tout à coup d’actualité, à la fois pertinent et éloquent. « Voici un moyen simple, efficace et économique pour notre santé », préconisaient Masta Just et Barabas, afin de promouvoir ce geste d’hygiène salvateur dans bien des situations.

Gestes barrières

Dans les médias traditionnels comme sur les réseaux sociaux, s’appuyant sur leurs notoriétés respectives, les artistes du continent expliquent inlassablement les bons comportements à avoir, miment les gestes barrières, à l’image de l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly« L’heure est grave », alerte le Malien Cheick Tidiane Seck, sollicité comme son compatriote Habib Koite par la plateforme Culture contre Coronavirus pour sensibiliser l’opinion publique de leur pays. En RDC, contraint de reporter son concert prévu le 18 avril au stade des Martyrs de Kinshasa, alors qu’il a rempli l’AccorHotels Arena à Paris il y a deux mois, Fally Ipupa insiste sur la prévention dans ses nombreux posts. « Les bisous ? Stop », chantonne même DiCaprio la Merveille (un de ses surnoms), en grattant sa guitare.

Sur le terrain, la fondation qui porte le nom du chanteur congolais s’investit pour venir en aide à ceux que la pandémie et le confinement fragilisent un peu plus en RDC : pour cela, l’artiste a monté l’opération We Are One #AidonsLesNôtres, alimentée par une cagnotte en ligne, qui a permis déjà de recevoir des stocks de vivres à distribuer.

La démarche de Magic System, en Côte d’Ivoire, vise le même objectif, avec l’aide de l’Union européenne : 5000 familles démunies d’Abidjan seront ainsi aidées par le programme initié par la formation phare du zouglou. En Guinée, par l’intermédiaire de la jeune Fondation Abdou-M’Baye à l’origine de la campagne nationale de promotion de l’hygiène et de l’assinissement, les deux membres de Banlieuz’art délivrent leurs conseils pour endiguer l’avancée du coronavirus.

Au Bénin, la Fondation Batonga d’Angélique Kidjo s’est elle aussi positionnée très tôt dans la campagne de prévention du Covid-19. La chanteuse aux quatre Grammy Awards (le dernier remonte à janvier 2020, pour son album Celia), connue pour son énergie débordante et communicative, s’est illustrée également sur les réseaux sociaux pour apporter en musique une forme de réconfort, bienvenue en cette période éprouvante de confinement : une version quasi a capella de Ces petits riens, de Serge Gainsbourg.

Puisque chacun doit rester chez soi, les prestations live effectuées en ligne par les musiciens se sont multipliées ces derniers temps : elles ont l’intérêt de donner à l’artiste une scène pour s’exprimer dans son registre habituel en entretenant une relation plus interactive avec son public, mais aussi une tribune pour remplir son rôle sociétal s’il le souhaite. Au Mali, le Prince de la kora Sidiki Diabaté s’est prêté au jeu en proposant un rendez-vous baptisé « Confiné Chimenté ». Idem à Madagascar pour le couple star de la musique urbaine, constitué de Denise, gagnante du concours Island Africa Talent en 2014, et Shyn, qui organise des live sessions régulièrement et s’apprête à sortir le single Confiné.

Fortement mobilisés, certains tels que le rappeur camerounais Locko ou la chanteuse sénégalaise Coumba Gawlo ont fait passer le citoyen qui existe en eux avant le musicien, se focalisant sur les messages de sensibilisation diffusés sur leurs différents comptes. Les qualités d’orateur n’y sont pas tout à fait étrangères. A ce jeu-là, Alpha Blondy n’a rien perdu de son talent : dans une longue déclaration postée sur les réseaux sociaux, le sexagénaire ivoirien enjoint à respecter les consignes données par les pouvoirs publics et prévient que « le combat sera rude ». Il encourage et remercie les « mains invisibles », évoque ceux qui sont « au front »« C’est une guerre contre l’invisible », résume-t-il. La star du reggae africain veut croire que du respect de la stratégie dépendra la victoire tant espérée.

Par : Bertrand Lavaine
RFI

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