Les États-Unis sont à nouveau plongés dans des émeutes depuis la mort de George Floyd. Alors que les violences se poursuivent d’Est en Ouest, des journalistes sont arrêtés et agressés. Pour Patrick White, professeur de journalisme à l’Université du Québec à Montréal, la situation s’explique par le climat hostile aux médias créé par Donald Trump.
Il souffle sur le pays de l’Oncle Sam un parfum de révolte depuis la mort de George Floyd, ce citoyen noir de Minneapolis injustement tué le 25 mai par un policier.Depuis l’incident, les États-Unis font face à l’une des pires crises de leur histoire, encore une fois sur fond de tensions raciales. Le 30 mai, Donald Trump a même dû se réfugier pendant environ une heure dans un bunker de la Maison-Blanche alors qu’une manifestation se déroulait en face de la demeure des Présidents américains.
Nouvelle crise, mêmes tensions raciales
Ces derniers jours, plusieurs journalistes ont été arrêtés par les policiers sur le territoire américain. Au moins 16 journalistes ont été blessés en recevant une balle de caoutchouc tirée par un agent et au moins six autres ont été attaqués par des manifestants.
Selon les informations du Comité des reporters pour la liberté de presse, des journalistes ont été blessés par les autorités dans les villes de Phoenix, Indianapolis, Atlanta, Minneapolis, Louisville, Kentucky et Washington. Une situation jugée totalement inacceptable par Patrick White, ex-rédacteur en chef du Huffington Post Québec et professeur de journalisme à l’Université du Québec à Montréal:
«C’est vraiment la pire attaque contre les médias depuis les manifestations historiques de 1968. Ce sont tous les médias qui semblent attaqués… On parle de Vice, Fox News, CNN et Reuters. Il y a même une journaliste pigiste qui a perdu un œil. L’usage des balles en plastique par les autorités est un grave problème», déplore le journaliste d’expérience en entrevue avec Sputnik.
Le 29 mai, des manifestants ont vandalisé les locaux du siège social de la chaîne CNN à Atlanta, l’un des épicentres de la crise. Les images du saccage ont rapidement fait le tour du monde. Une grenade détonante a notamment été lancée par des protestataires dans le hall où se trouvaient des agents de l’escouade antiémeute.
Pour Patrick White, l’attaque du siège de CNN ne pourrait pas mieux symboliser «le développement d’un mépris des médias» au Sud de la frontière canadienne:
«C’est une tendance inquiétante. De manière indirecte, c’est aussi un peu le fruit de ce que fait monsieur Trump depuis quatre ans en répétant que les médias sont l’ennemi du peuple et en parlant, entre autres, de “fake news CNN”. Le climat ambiant et la polarisation extrême entre les Démocrates et les Républicains n’aident pas la situation. […] Rappelons que Trump ridiculise les cotes d’écoute de CNN sur une base quotidienne», précise-t-il.
Depuis son entrée en fonction en janvier 2017, Donald Trump a plusieurs fois été blâmé par des observateurs pour avoir selon eux créé un climat hostile aux médias.
L’attaque de CNN, symbole du «mépris des médias»
Le 24 avril dernier, Kayleigh McEnany, porte-parole de la Maison-Blanche, a accusé les journalistes d’avoir déformé les propos du Président, alors qu’il avait suggéré qu’on pouvait combattre le Covid-19 avec des produits désinfectants. Des reproches qui avaient un air de déjà-vu pour les correspondants à Washington.
«Vous pouvez compter sur les médias pour sortir de façon irresponsable [les propos du, ndlr] Président Trump du contexte et publier des titres négatifs», avait réagi Mme McEnany.Paradoxalement, si de nombreux manifestants s’opposent à Donald Trump, c’est en partie le Président étasunien qui a nourri leur rejet des grands médias:
«Il y a une haine des médias qui s’est développée ces dernières années avec les médias sociaux et les médias citoyens. On l’a vu au Québec avec la crise du Covid-19 et on le voit encore davantage aux États-Unis. Il y a cette réalité de base. […] Ensuite, il y a cette ambiance-là, en partie créée par Trump, qui désigne tous les médias comme des propagateurs de fausses nouvelles», précise le responsable du programme de journalisme de l’Université du Québec à Montréal.
Depuis le 12 mars, avec la crise du coronavirus, pas moins de 36.000 médias ont dû cesser leurs activités aux États-Unis pour des raisons financières. Une réalité qui pourrait aggraver l’impression de déconnexion entre les médias et la population américaine, observe Patrick White, qui en appelle à une «éducation civique sur les médias»:
«Il y a beaucoup de travail à faire pour rebâtir la confiance des citoyens envers les médias. Cela demandera plus de transparence et de couverture locale. Il faudra recréer le lien qui a été brisé avec plusieurs communautés et citoyens. Il y a beaucoup de villes aux États-Unis où il n’y a plus de médias. C’est ce qu’on appelle un désert médiatique et c’est très problématique pour la démocratie américaine», a-t-il conclu.
Sputnik