Dr Mamadou Fomba : La laïcité ne signifie pas la non reconnaissance des religions

Dans cette interview, l’enseignant chercheur à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako aborde la question de la laïcité dans le projet de Constitution. Il revient également sur les innovations et les insuffisances contenues dans le texte

Dr Mamadou Fomba : La laïcité découle du principe de séparation entre l’État et les institutions religieuses. Elle nous fait penser, en France, à la grande loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’État. La laïcité consiste à faire en sorte que l’État n’exerce aucun pouvoir religieux. L’État assure la liberté de conscience. Il garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public.

Bref, la laïcité, c’est la neutralité de l’État dans ses rapports avec le pouvoir religieux. L’État ne doit pas s’ingérer dans les affaires religieuses. Il doit simplement créer les conditions nécessaires et propices à l’exercice des libertés religieuses.

L’Essor : Certains leaders musulmans s’insurgent contre le maintien de la laïcité dans le projet de Constitution. Ceux-ci préfèrent plutôt qu’il soit introduit dans le document que le Mali est une République multiconfessionnelle. Qu’en pensez-vous ?

Dr Mamadou Fomba : Nous savons tous qu’il existe des religions et des croyances au Mali. Il est de ce fait convenable et souhaitable que l’État clarifie ses rapports avec les religions et les croyances. Dire que le Mali est une République laïque ne signifie pas qu’il ne reconnait pas les religions. Cela signifie qu’il ne se mêle pas des questions religieuses, à condition que les religions soient pratiquées conformément aux lois et règlements en vigueur. La liberté du culte et son exercice sont reconnus. L’autre expression consistant à dire que le Mali est une République multiconfessionnelle veut également dire que l’État reconnait toutes les religions. Mais, elle ne clarifie pas les rapports entre l’État et les religions : la neutralité, l’indépendance.

L’Essor : Par ailleurs, que retenez-vous du projet de Constitution qui vient d’être validé par le président de la Transition, en termes d’innovations ?

Dr Mamadou Fomba : Les éléments de réponse à vos interrogations nécessitent une analyse comparée du projet de Constitution et des autres Constitutions maliennes depuis l’indépendance. Nous ferons ce travail d’analyse en essayant de déceler les innovations majeures du projet de Constitution par rapport aux autres Constitutions et les imperfections.

Au niveau du préambule, nous constatons les éléments suivants : la prise en compte de la diversité culturelle, linguistique et religieuse, la corruption et l’enrichissement illicite, la nécessité de promouvoir le vivre-ensemble et la réconciliation nationale dans le respect des identités et de la diversité culturelle, l’intégration du préambule dans la Constitution.

Dans le corps de la Constitution, les grandes réformes sont opérées dans les droits et libertés et dans les questions institutionnelles et non institutionnelles. Dans les questions des droits et libertés, les acquis ont été renforcés. Dans les droits, nous pouvons retenir, d’abord, que l’État assure la protection de l’enfant contre le trafic de personnes et les infractions assimilées et contre l’enrôlement dans les groupes extrémistes violents (article 3).

Ensuite, nul ne peut être soumis à la torture, à l’esclavage, aux traitements inhumains, cruels et dégradants (Art 4, al 1). Tout individu, tout agent de l’État qui se rend coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi (Art 4, al 2).

Toute personne a droit à un procès équitable et à un jugement rendu dans un délai raisonnable (art 7). Enfin, le mariage et la famille, qui constituent le fondement naturel de la vie en société, sont protégés et promus par l’État (Art 9, al 1). Le mariage est l’union entre un homme et une femme (art 9, al 2). Un effort a, aussi, été consenti pour tenter de mettre un contenu dans la notion de la laïcité. La laïcité a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble dans la société, fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle (art 32).

Dans la rubrique des devoirs, tout citoyen a le devoir d’œuvrer pour le bien commun, de respecter et de protéger le bien public (art 28). Et, tout citoyen investi d’un mandat public ou chargé d’un emploi public ou d’une mission de service public a le devoir de l’accomplir avec conscience, loyauté et probité (art 29).

Dans les questions institutionnelles et non institutionnelles, il y a la rupture avec le passé. D’abord, en ce qui concerne les questions institutionnelles, nous voulons faire observer que le projet de Constitution bouleverse les rapports entre les pouvoirs politiques constitutionnels (l’Exécutif et le Législatif). Il constitue une rupture avec les Constitutions précédentes et contient les caractéristiques d’un régime politique atypique (possibilité pour le président de dissoudre l’Assemblée nationale (article 69), impossibilité pour l’Assemblée nationale de renverser le gouvernement, etc).

Au titre du président de la République, nous pouvons retenir, entre autres, les éléments nouveaux, notamment des nouvelles conditionnalités pour être candidat aux élections présidentielles (ne posséder aucune autre nationalité au moment du dépôt de candidature, être âgé de 35 à 75 ans et être apte à exercer la fonction : déposant un dossier de bilan médical (article 46) ; l’augmentation du délai entre le premier et le deuxième tours de l’élection présidentielle : 3 semaines au lieu de 2 dans la Constitution en vigueur (article 48, alinéa 4) ; l’obligation faite au président de la République de prononcer devant le Parlement un discours sur l’état de la Nation une fois par an, dans le courant du premier trimestre (article 61) ; les nominations doivent reposer principalement sur des critères de compétence, d’expérience et de probité : la nomination doit être assise sur les résultats d’une enquête effective de moralité (article 67, al 3) ; le président de la République n’est plus inamovible avant la fin de son mandat. Il peut être destitué par le Parlement pour haute trahison (article 73).

Au titre du gouvernement, les membres remettent au président de la Cour des comptes la déclaration écrite de leurs biens dans un délai maximum de trente jours après leur nomination. La déclaration fait l’objet d’une mise à jour annuelle et à la fin des fonctions. La déclaration et les mises à jour annuelles sont rendues publiques par la Cour des comptes (article 78). Le gouvernement est responsable devant le président (article 79) et non le Parlement.

Au titre du pouvoir législatif, le Mali s’oriente vers le bicaméralisme. Le Parlement comprend désormais deux chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. Le Congrès est la réunion des deux chambres du Parlement. La présidence du Congrès est assurée par le président de l’Assemblée nationale et la vice-présidence par le président du Sénat (article 95). L’immunité des parlementaires est considérablement réduite. Ils ne bénéficient de l’immunité parlementaire que dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.

Autrement dit pour leurs opinions ou le vote (article 103). Le projet de Constitution entend mettre fin à la transhumance politique. Tout député qui démissionne de son parti ou tout conseiller de la Nation qui démissionne de son parti ou de l’organisation qu’il représente est déchu de son mandat. Il est remplacé dans les conditions déterminées par une loi organique (article 106). Le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat peuvent faire l’objet d’une procédure de destitution pour manquement aux devoirs de leur charge (article 113).

Le pouvoir judiciaire comprend la Cour suprême, la Cour constitutionnelle et la Cour des comptes. La Cour constitutionnelle fait partie intégrante du pouvoir judiciaire, conséquence de la Question de priorité constitutionnelle (article 153). Le nombre des membres n’a pas changé ; il reste à neuf (9). Cependant, un grand changement a été apporté par rapport à la désignation des membres. Dans le projet de Constitution, la désignation des membres de la Cour constitutionnelle se fait de manière suivante : deux par le président de la République ; un par le président de l’Assemblée nationale ; un par le président du Sénat ; deux par le Conseil supérieur de la magistrature ; deux enseignants-chercheurs de droit public ; un par l’Ordre des avocats (article 145).

La justice est rendue au nom du peuple malien (article 131, al 1). Les décisions de justice sont rendues sur le seul fondement de l’application impartiale de la loi (article 131, al 2). Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable (article 136). Il est constitué pour moitié de personnalités choisies en dehors du corps des magistrats (article 137).

La Cour suprême est désormais composée de 2 sections : la section judiciaire et la section administrative. La Cour des comptes issue de la transformation de la Section des comptes de la Cour suprême, est prévue par le chapitre IV du titre qui traite du pouvoir judiciaire (articles 156 à 163). S’agissant du Conseil économique, social, culturel et environnemental, nous avons constaté la prise en compte de l’environnement (question de l’heure) au Conseil économique, social et culturel. Par ailleurs, le projet ajoute aux limites matérielles à la révision de la Constitution, le nombre de mandats du président de la République (article 185, al 2).

Au-delà de ces dispositions, le projet constitutionalise les autorités administratives indépendantes et les légitimités traditionnelles. Il donne plus de contenu à l’organisation du territoire. Il est à souligner, aussi, que le statut des enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a été constitutionnalisé (art 115).

L’Essor : Avez-vous décelé des insuffisances dans le projet de texte ?

Dr Mamadou Fomba : Le projet de Constitution, parce que c’est une œuvre humaine, connaît des insuffisances. Nous pouvons les ramasser sous deux rubriques. Au plan institutionnel et au titre du président de la République, le projet prévoit une conditionnalité trop rigide en ce qui concerne le candidat aux élections présidentielles (n’avoir aucune autre nationalité au moment du dépôt de candidature).

Le projet pourrait prévoir qu’une fois élu, le président de la République doit renoncer à toute autre nationalité avant la cérémonie de prestation de serment (art 46). Par ailleurs, le projet pourrait prévoir la durée du mandat du président (cinq ans) parmi les limites matérielles de la révision de la Constitution. 

Le projet de Constitution est muet sur le profil des membres de la Cour des comptes. Il pourrait donner des indications sur le profil des membres de la Cour des comptes (magistrats des deux ordres (judiciaire et administratif), professeurs de droit ou d’économie, inspecteurs du trésor, des services économiques, des finances, des impôts).

Au plan non institutionnel, le projet pourrait prévoir un mécanisme de révision constitutionnelle par le Parlement réuni en congrès en dehors des dispositions de l’article 184.

Propos recueillis par

Bembablin DOUMBIA

L’Essor

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