Déclaration des militaires: le Plan de Kati à la loupe

Le gong du premier round de la contestation sociopolitique du régime IBK a résonné ce mardi dans l’après-midi avec un putsch militaire de velours dans une action de tous les corps habillés. Dès lors, un nouveau cap était attendu des nouveaux hommes forts du pays. Ils en ont fait l’esquisse dans leur déclaration nocturne, après avoir fait un état des lieux sans complaisance de la situation du pays. Décryptage.
Après la démission formelle du Président Ibrahim Boubacar KEITA célébrée dans la ferveur populaire dès l’après-midi du mardi, à la Place de l’indépendance et dans certaines rues de la capitale, le message des militaires était vivement attendu. Il est tombé tard dans la nuit, lu par le Colonel-Major WAGUE, entouré d’officiers supérieurs meneurs de l’action militaire.

La justif du renversement de régime
Les militaires, dans leur diagnostic, soulignent le paradoxe entre la richesse naturelle, culturelle, en ressources humaines avec l’état de déliquescence du pays qui plonge ses racines dans la ‘’ gabegie, le vol et l’arbitraire’’ qui ‘’sont devenues des vertus’’…
Ils égrènent un chapelet de maux qui gangrènent notre société : ineffectivité de la bonne distribution de la justice ; l’éducation nationale qui piétine et même patauge ; la distribution de la santé à la carte et au plus offrant ; le manque d’accompagnement financier de la décentralisation prônée comme moyen de rapprocher le pouvoir des populations.
À cela, ils ajoutent l’horreur qui est devenue le lot quotidien des Maliens.
La mauvaise gouvernance ; le clientélisme politique ; la gestion familiale des affaires de l’État ; les contestations électorales ; la gestion approximative de la pandémie à Coronavirus ; le terrorisme et l’extrémisme qui détruisent la cohésion sociale et ne sont pour autant pas une fatalité, restent autant de défis qui ont fait sombrer le pays de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité.
Les hommes en kaki sont interpellés par les atteintes aux droits fondamentaux, les répressions des 10, 11 et 12 juillet qui exigent une réponse de l’État. Tout comme la grande crise institutionnelle, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance qui sont aujourd’hui au cœur des attentes fortes.
De tout ce qui précède, à l’analyse des militaires, est née de la tension politico-sociale qui mine la bonne marche du pays. D’où, l’intervention de l’Armée. ‘’Maliennes et Maliens, face à la difficulté de garantir à ce jour le respect de la Constitution, l’intégrité du territoire, l’indépendance de l’unité nationale, de la paix et de la cohésion sociale, Monsieur Ibrahim Boubacar KEITA et son régime, après dissolution de l’Assemblée nationale, ce jour 18 août 2020, a rendu sa démission.
Afin d’éviter au pays de sombrer, nous forces patriotiques regroupées au sein du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP), avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire, d’assurer la continuité de l’État et des services publics’’, justifient les militaires leur acte.

Les mesures immédiates
Par ailleurs, les nouveaux hommes forts du pays n’ont pas dérogé à certaines mesures universellement admises. Ainsi ont-ils annoncé la fermeture des frontières aériennes et terrestres. Aussi un couvre-feu est-il instauré depuis hier mardi, et ce jusqu’à nouvel ordre de 21 h à 5 h du matin. Du point de vue sécuritaire, il faut souligner l’élégance des auteurs du renversement de régime. Très peu de destructions de biens publics et privés ont été constatées, contrairement à ce qui se passe sous d’autres cieux et même chez nous en 2012. Les responsables de l’ancien régime, selon les sources concordantes, ont été traités avec le plus grand respect et la plus grande dignité. Il faut dire que les officiers présentés comme la tête de l’action militaire affichent, en plus des galons, un niveau intellectuel qui leur dicte un comportement exemplaire.

La singularité d’une démarche
Ce qu’il faut aussi souligner, c’est la grande ouverture d’esprit de ces officiers évitant ainsi les écueils du passé. Aucun patriotisme de mauvais aloi. Eux, mieux que quiconque savent que l’Armée malienne à elle seule contiendra difficilement la déferlante jihadiste qui progresse à une vitesse vertigineuse et préoccupante vers le Sud. Ces officiers, mieux que quiconque, savent le lourd tribut que l’armée malienne paie au quotidien dans sa mission de sécurisation des personnes et des biens et qu’ils ont besoin de l’appui technique, de l’appui-conseil et de la présence physique sur le terrain des partenaires internationaux. C’est cela qui explique la main tendue à la MUNUSMA, la Force française Barkhane, aux Forces de l’opération Takuba et aux Forces du G5 Sahel. ‘’Nous demandons aux organisations sous-régionales et internationales de nous accompagner pour le bien-être du Mali. La MINUSMA, la Force Barkhane, le G5-Sahel, la Force TAKUBA demeurent nos partenaires pour la stabilité et la restauration de la sécurité’’, ont appelé les nouveaux hommes forts du pays.
Fait rarissime, dans les changements de régime, les militaires n’ont pas proclamé la suspension de la Constitution du 25 Février 1992. Il y avait-il d’ailleurs besoin de suspendre la Constitution par un mimétisme croupissant ? Non, parce que les militaires ont eu l’intelligence de faire démissionner le Président de la République de ses fonctions, de toutes ses fonctions et de l’amener à prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du Gouvernement. Dès lors, l’article 36 de la Constitution pourrait être activé : ‘’lorsque le président de la République est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier ministre.
En cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour constitutionnelle saisie par le président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre.
Les fonctions du président de la République sont exercées par le président de l’Assemblée nationale.
Il est procédé à l’élection d’un nouveau président pour une nouvelle période de cinq ans.
L’élection du nouveau président a lieu vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement.
Dans tous les cas d’empêchement ou de vacance, il ne peut être fait application des articles 38, 41, 42, et 50 de la présente Constitution’’.
Pour autant, il y a un hiatus, à savoir qu’avec la dissolution de l’Assemblée nationale et du Gouvernement, il n’y a pas de Président de l’Assemblée ou de Premier ministre pour saisir la Cour constitutionnelle qui constante ‘’la vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif’’. À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.

La rupture dans la continuité
À la lumière de la déclaration des militaires qui ont renversé le régime d’IBK, il apparaît qu’ils sont inscrits dans une dynamique de rupture dans la continuité sur certaines questions essentielles. ‘’Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain’’ dit-on. Voici une sagesse qui a été bien intégrée. Ainsi, les militaires expriment leur attachement à l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, dont les défaillances dans la mise en œuvre ont alimenté la polémique au cours de ces derniers jours, suite à la publication d’un rapport d’un panel d’experts de l’ONU. ‘’Nous invitons, par ailleurs, nos frères de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et de la Plateforme à nous rejoindre pour la mise en œuvre efficiente de l’Accord issu du processus d’Alger’’, se montrent-ils disposés à collaborer.
Ce n’est pas le seul acquis que les nouveaux hommes forts entendent capitaliser. Il y a également le dialogue national inclusif.
‘’Nous allons prendre en compte les conclusions du dialogue national inclusif (DNI) pour l’amélioration du cadre de bonne gouvernance’’, ont annoncé les détenteurs actuels de la réalité du pouvoir d’État.
Toutefois, il y a un piège mortel à éviter : prendre les mêmes et recommencer. Parce que le départ d’IBK et de son régime devrait écrire une nouvelle page de l’histoire socio-politique du pays sur la base de ruptures fortes et d’innovations majeures.

Les perspectives à court terme
En termes de perspectives à court terme, sauf revirement de position des auteurs du renversement de régime, l’on ne devrait pas s’attendre à un régime militaire. Parole d’officiers : nous venons nettoyer les écuries d’Augias et rendre le pouvoir à qui de droit. En guise de gage de bonne foi, il n’y aura aucune transition militaire ; mais une transition politique civile impliquant toutes les composantes de la société malienne. ‘’La société civile et les mouvements sociaux politiques sont invités à nous rejoindre pour, ensemble, créer les meilleures conditions d’une transition politique civile conduisant à des élections nationales crédibles pour l’exercice démocratique à travers une feuille de route qui jettera les bases d’un Mali nouveau’’, appellent les militaires. Le nouveau cap pour le Mali sera donc fixé de façon inclusive.
Pour autant, les militaires ne cachent pas leur attachement à l’ordre et à la discipline : ‘’Maliennes et Maliens, nous ne tenons pas au pouvoir, mais nous tenons à la stabilité du pays qui nous permettra d’organiser dans des délais raisonnables consentis des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes capables de gérer au mieux notre quotidien’’. En clair, tout acte de déstabilisation du pays sera puni avec la plus grande rigueur.
Le point noir, en tout cas l’inconnu dans les promesses radieuses, c’est l’absence de visibilité sur la période de la transition civile politique qui est sera organisée de concert avec l’ensemble des forces vives de la Nation.

PAR BERTIN DAKOUO

Info-Matin

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