Macron en Afrique de l’Est : Chassez le naturel… (*)
Les intérêts de la France en Afrique se sont amenuisés comme peau de chagrin, pour se situer désormais à près de 4%, alors que ceux de la Chine, par exemple, y sont montés à 18. Macron voulait redresser la situation…
Jacques Chirac avait publiquement admis que la France ne serait pas la puissance qu’elle est sans l’Afrique. Emmanuel Macron vient, d’une autre façon, de confirmer cette réalité. C’est que pour abandonner l’Elysée, depuis mercredi dernier jusqu’à dimanche, en une période socialement trouble, où notamment la bataille de “sa” réforme des retraites fait rage, le continent devait représenter, pour lui et pour l’économie de la France, un enjeu autrement plus important, voire vital. Il avait même choisi et annoncé le slogan sous lequel il allait se rendre au Gabon, en Angola, au Congo Brazzaville et en République démocratique du Congo : “co-construction et humilité”. Il n’avait pas tort…
– Un sentiment d’hostilité persistant
Depuis l’aube des indépendances en Afrique, plusieurs voix s’élevaient déjà, pour dénoncer que l’exploitation, voire le pillage, des ressources par les anciens colonisateurs continuait, avec la complicité de dirigeants qui, souvent, cherchaient davantage à se maintenir au pouvoir et à en profiter, qu’à s’atteler à mener de grandes restructurations économiques et sociales, dont ils n’avaient d’ailleurs pas les moyens techniques et humains. D’où la double-obligation de solliciter l’apport de ces mêmes ex-colons pour les œuvres de développement, nonobstant les clauses contraignantes des protocoles d’indépendance. Ces derniers profitaient d’un vaste marché “consentant” où ils se procuraient des ressources à des contreparties insignifiantes.
La France, omniprésente dans de nombreux pays d’Afrique, puisait ainsi dans leurs immenses richesses et pour que cela durât, elle alternait soutiens à des régimes “alliés” et interventionnisme où l’humanitaire cachait mal les intérêts politico-économiques. Cela ne pouvait que déboucher sur un ressentiment, comme le reconnaissait François Hollande, dans son fameux discours où il avait, de surcroît, admis “les erreurs” du passé qui, justement, ont fait sombrer l’Afrique dans la pauvreté, malgré ses énormes ressources.
Avec la multiplication des intelligentsia militantes et des voix conscientes de la mainmise hexagonale, avec le consentement de dirigeants complices, un vent d’une nouvelle libération africaine s’est levé, accompagné d’une expansion de ce sentiment d’hostilité vis à vis de la France, dont on dénonçait ouvertement le comportement “en terres conquises”, les “prétendues” aides de développement qui proviennent d’une partie de l’exploitation massives des richesses de leurs pays avec, de surcroît, un paternalisme affiché.
Le joug devenant pesant, d’un côté, et la pression interne conséquente, de l’autre, plusieurs dirigeants africains ont commencé à monter des velléités de rébellion, poussant Emmanuel Macron à faire amende honorable et à reconnaître certaines des horreurs commises par son pays, en ouvrant jusqu’aux archives secrètes nationales. Mais comme les intérêts de la France passent avant tout, il n’a pas su -ou voulu- jusqu’à la semaine dernière, agir avec une nouvelle approche d’égal à égal pour une coopération gagnant – gagnant. La dimension hégémonique n’était pas vraiment dépassée. Le sentiment d’hostilité et de riposte, non plus. La sortie du Mali et du Burkina Faso en est une conséquence.
– La contrainte de Changer d’approche
C’est en cela qu’il avait raison de placer sa tournée de la semaine dernière en Afrique de l’Est, sous le signe “co-construction et humilité”. Il s’est, en effet, rendu à l’évidence que les temps de l’arrogance conquérante, du profit à sens unique, à travers des dirigeants complices et du mirage des aides au développement, sont révolus. Il a aussi réalisé que son pays a beaucoup perdu, pour ne pas s’en être rendu compte, plus tôt. Changer d’attitude et proposer un partenariat win – win équitable s’imposait, d’autant que d’autres puissances s’étaient empressées de profiter du recul français, pour s’implanter sur le continent et voir leur coopération ainsi que leurs affaires y prospérer. A la Chine, à la Russie et même les États Unis, il faut ajouter aussi la Türkiye et l’Inde, solidement installées. La part des intérêts économiques de la France qui a, pendant des décennies post-indépendance, régné sur la majeure partie de l’Afrique, s’y est réduite à 4%, alors que ceux de la Chine, par exemple, y sont montés à 18.
C’est donc dans l’humilité qu’Emmanuel Macron a entrepris son périple est-africain pour reconquérir le terrain perdu, espérant effacer l’image du “gendarme retors du continent” qui colle à son pays et, par là-même, atténuer la rancœur et l’hostilité ressenties à son égard. “La Françafrique n’est plus de mise”, a-t-il repris, ajoutant que le continent est “un vaste théâtre de compétitions”, où il aspirait à une présence de la France, dans un “cadre loyal”. Qu’en a-t-il été de cette tournée et que retenir de la prestation et des promesses de Macron ?
– Macron se fait rabrouer en conférence
Dans l’avion qui l’emmenait vers le Gabon, la première étape de son voyage africain, le président français n’avait aucune appréhension de subir de Ali Bongo, un éventuel revers ou une douche froide, comme celle qu’il a subie, quand Mohamed VI, le roi du Maroc, qui l’a rabroué, en le contredisant : “nos relations ne sont ni cordiales ni amicales”. Si au moins le rapprochement avec l’Algérie, cause de cette réplique, avait duré. En effet, le président gabonais et son homologue français sont assez proches (ils ont organisé le 1er Sommet des forêts), au point que l’opposition a crié au soutien qu’elle prête à ce dernier de vouloir apporter à Bongo, pour une autre réélection.
Un soupçon repris par un journaliste, lors de la conférence de presse commune entre le président congolais Félix Tshisekedi et Emmanuel Macron, dont ce dernier voulait faire le point d’orgue de son périple et qui a franchement tourné au fiasco. C’est qu’à ce journaliste qui lui demandait si la France continuait à soutenir certains dirigeants africains et si lui le faisait pour Ali Bongo, il a répondu que son pays était neutre dans les processus électoraux, en ajoutant une phrase dont il aurait pu se passer : “on n’est pas là pour leur servir la soupe”!
Un “cru-parler” qui sied mal à un président qui évoquait ses homologues dont, plus est, il était l’hôte et chez qui il venait prôner “co-construction et humilité”. Décidément, chassez le naturel, il revient au galop. En tout cas, cette phrase ne va pas dans le sens de son discours qui a précédé son périple et qu’a commenté Thierry Vircoulon, auteur et expert des Grands Lacs : “Il a compris qu’il n’est pas en position de force. Macron ne se met pas au dessus de ses homologues africains”.
Il aurait pu, également, se passer de cette image où on le voit descendre de la voiture officielle, à l’entrée d’un palais présidentiel, avant d’enfiler sa veste. Laisser aller ? Désinvolture naturelle ? Peut-être, mais des observateurs y ont décelé un geste sans-gêne aux relents de colonisateurs.
Mais c’est au cours de la conférence de presse de Kinshasa, déjà évoquée et dont il voulait faire le Point d’orgue de son voyage est-africain, qu’il perdra complètement les pédales. En effet, suite aux généralités des propos introductifs, pleines de promesses et de nouvelles perspectives de partenariat, et après l’inopportune “soupe que la France ne compte pas servir aux dirigeants africains”, il s’oubliera et emmêlera ses plumes, en répondant à un journaliste, en affirmant qu’il n’est pas juste de tout mettre sur le dos de la colonisation et que “les guerres et les pillages, depuis 1994, vous incombent, parce que vous n’avez pas été capables de restaurer votre souveraineté militaire, sécuritaire et administrative…”. Intempestif, il ira plus loin, en rappelant, crûment, aux Congolais leur absence de recours à une justice transitionnelle…d’une bonne gouvernance…d’un processus électoral crédible…”. Pas très délicat de la part d’un président à propos d’un pays hôte, où il est venu non pas “pour dire ce que les Africains ont à faire mais que c’est ainsi qu’il me semble qu’on peut co-construire”, comme le mentionne Alioune Tine, expert auprès de l’ONU et fondateur du think tank “Afrikanjom Center”.
Le président Félix Tshisekedi interviendra, d’ailleurs, en le rabrouant par deux fois, d’abord en demandant qu’on “regarde les Africains autrement, sans paternalisme et loin de l’idée de savoir ce qui leur faut”. Il lui rappellera aussi les irrégularités qui ont marqué la présidentielle aux États Unis et en France du temps de Jacques Chirac sans qu’on évoquât de “compromis à l’américaine ou à la française”, en référence à Le Drian, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, qui avait qualifié le scrutin de la dernière présidentielle en RDC de “compromis à l’africaine”.
Macron aurait pu s’épargner cette “partie de ping-pong” (comme il l’a dit), oubliant l’essence même de son voyage d’Etat et l’humilité à laquelle il voulait s’astreindre. Quant à la co-construction prônée, “attendons pour voir”, comme l’a répété à trois reprises le sceptique Tshisekedi qui attendait de la France, davantage qu’une aide de 36 millions d’euros et un simple soutien au plan de paix pour le Nord Kivu …
*Les opinions exprimées dans cette analyse n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l’Agence Anadolu.
**Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.