Yaya Sangaré, Secrétaire géneral C. E. ADEMA/PASJ : “Le bilan de notre accompagnement de la Transition est mitigé”
Sur le bilan de l’accompagnement de la Transition, la candidature du parti à la prochaine élection présidentielle, les travaux de la 19eme conférence nationale, l’Accord d’Alger, entre autres, le Secrétaire général de l’Adéma/PASJ, Yaya Sangaré donne son point de vue. Entretien.
Mali Tribune : Votre conférence nationale vient de se tenir, sur quoi avez-vous échangé ?
Yaya Sangaré : D’abord, il faut préciser que la Conférence nationale est une instance statutaire de l’Adéma/PASJ entre deux congrès et se tient tous les ans, au moins une fois. Nous sommes à la 19e. Elle a eu à examiner le rapport d’activités et financier du comité exécutif au cours de l’année écoulée, analyser la situation sociopolitique et sécuritaire du pays et fixer les orientations générales du parti par rapport aux grands sujets nationaux. Elle a enregistré aussi les messages des mouvements affiliés et des coordinations régionales du parti. Elle a fait le bilan de l’accompagnement de la Transition par le parti.
Mali Tribune : Quel est ce bilan ?
Y S. : Le bilan de notre accompagnement de la Transition est mitigé. Beaucoup de nos militants affichent leur insatisfaction. Mais, nous demandons aux militants de rester mobilisés, afin d’être à la hauteur des défis futurs, car l’environnement sociopolitique devient de plus en plus hostile et pollué contre les formations politiques traditionnelles comme la nôtre, et la population, à juste titre, est de plus en plus exigeante.
J’invite donc les responsables du parti, à quelque niveau que ce soit, d’être à l’écoute de la base. Cette écoute active nous permettra de porter les valeurs et les aspirations de cette base arc-en-ciel, de plus en plus jeune, dynamique, enthousiaste et engagée pour le Parti et pour le Mali.
A l’évidence, certains militants pensent, et à juste raison, que l’accompagnement du parti est sollicité, à cause certainement de sa force de mobilisation, de l’efficacité de son organisation, de sa structuration et de sa cohésion, mais nous serons plus enviés et respectés, en tant qu’entité politique, lorsque nous travaillerons davantage à mieux nous organiser, à nous construire pour être plus lisibles et plus visibles auprès de l’opinion publique nationale.
Pour cela, nous avons besoin d’accepter d’être d’accord sur nos désaccords internes, en privilégiant l’objectif commun : la victoire du parti et non des individualités. Les choix de nos candidats aux différentes élections, ne doivent pas être sources de tiraillements, de tensions stériles, mais plutôt de combats pour le triomphe des principes et des valeurs qui nous rassemblent.
Mali Tribune : Donc, l’Adéma/PASJ alignera son propre candidat à la prochaine présidentielle ?
Y S. : Cela est une recommandation forte du 6e congrès ordinaire tenu en octobre 2021 et une aspiration profonde des militants du parti. Nous ne nous écarterons pas de cette volonté de nos militants. Toutefois, nous restons ouverts à toute forme d’alliances soucieuses du bien-être des Maliens et de la stabilité du Mali. Car seule, aucune formation politique ne peut conquérir et exercer le pouvoir au Mali.
Mali Tribune : Revendiquez-vous l’étiquette “d’opposant” au Premier ministre Choguel Kokalla Maïga ?
Y S. : Ce genre de cliché ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un opposant mécanique, systématique. Je suis opposé à des pratiques, à des propos et comportements clivant, surtout à une volonté manifeste de réécriture et de falsification de l’Histoire récente de notre pays par des nostalgiques d’une époque révolue, la remise en cause des acquis démocratiques et des réalisations visibles des régimes démocratiques successifs dans notre pays. Je combats tous ceux qui sont dans le reniement et la vengeance à partir des trophées gagnés par d’autres. Simplement, je ne cède pas un pouce de terrain, quoi qu’il m’en coûte, quand je considère que l’essentiel est en jeu.
Mali Tribune : Par ses propos, estimez-vous que le Premier ministre provoque une rupture avec la classe politique, surtout celle se réclamant du mouvement démocratique ?
Y S. : Je juge davantage les faits que les mots. Je sais que l’on peut mettre les mots à toutes les sauces. On peut sortir des citations époustouflantes pour dire le contraire de ce qu’on fait. Au regard de tout ce qu’on observe, il s’est installé dans la provocation, la manipulation de l’opinion publique et la propagande sans fin. Cela avec une ruse inimitable. Comme on aime à le dire dans votre milieu : les faits à lui reprochés sont têtus. Il ne me parait être un atout pour ses patrons ni sur le plan national ni sur le plan international.
Mali Tribune : Quelles sont aujourd’hui vos relations avec les colonels ?
Y S. : Je n’ai avec eux aucun problème personnel ni de relations personnelles. Je n’en ai jamais eu. Tous les contacts avec eux s’inscrivent dans le cadre de mon parti, sous forme de notes d’orientation, de rencontres formelles et informelles, discrètes et publiques. Nous produisons aussi régulièrement des communiqués pour faire connaître et partager nos positions sur des questions d’intérêt national.
Il y a des côtés de leurs personnalités qu’il m’arrive de trouver sympathiques. Ils assument leurs actes, ils sont téméraires. Ils sont en train de secouer le cocotier, comme on le dit. Ils ont une certaine fougue juvénile qu’il faut comprendre, et doublée de la formation militaire. Mais, ils gagneraient à être plus à l’écoute des voix plus sages afin de réussir leur mission et à demeurer dans la conscience collective des Maliens comme des libérateurs et des bâtisseurs du Mali nouveau. Le chantier est immense et les obstacles nombreux.
Je crois qu’ils le savent. Chaque génération de dirigeants fera ce qu’elle et personne ne doit avoir la prétention de tout faire. Nous devons aussi reconnaître ce qui a été fait par nos prédécesseurs et consolider les acquis, tirer les enseignements des faiblesses pour les corriger. Mais j’ai un problème politique de fond qui tient aux valeurs du projet de société de mon parti et à leur manière de concevoir l’exercice du pouvoir d’Etat. Et une divergence sur les valeurs, c’est plus grave et plus profond qu’un désaccord sur les programmes.
Mali Tribune : Ils ont bousculé certaines certitudes établies. Ils ont renvoyé la France, Barkhane et la Minusma, ébranlé certaines organisations sous-régionales, en devenant ainsi les champions du panafricanisme et de la nouvelle indépendance africaine. Que vous inspire tout ça ?
Y S. : J’ai la conviction qu’une part de l’avenir de l’Occident et donc de la France se joue en Afrique et que ce siècle sera celui des Africains. Le continent fait face à des défis immenses en matière de migrations, de démographie, de développement, d’éducation, de santé, de changement climatique, d’emploi des jeunes, d’énergie, de terrorisme ou de gouvernance. Mais les opportunités sont, elles aussi, immenses.
Nous avons trop tendance à oublier la soif de modernité de la jeunesse africaine malienne, sa vitalité culturelle et intellectuelle, sa soif de régler des comptes à une France colonisatrice vue encore comme spoliatrice de nos ressources vitales. Au lieu de contribuer à bâtir des ponts, la France a plutôt continué à dresser des barrières. Ce qui a créé des frustrations et des incompréhensions qui se sont muées en haine.
L’Afrique devrait être la nouvelle frontière sur laquelle la France doit bâtir en partie son avenir, pour des raisons démographiques, stratégiques et économiques. Mais, hélas l’arrogance des autorités françaises actuelles a pris le dessus sur l’analyse lucide de la géopolitique internationale ! Je crois que la faute des français a été d’avoir confié la destinée de leur pays à un Emmanuel Macron, pendant cette période de transformations profondes des relations internationales où aucun détail n’est à négliger.
Mali Tribune : Les autorités de la Transition donnent l’impression qu’elles sont installées dans la diplomatie de confrontation. Quelle est votre appréciation ?
Y S. : Je les appelle seulement à l’apaisement et au dialogue face à la montée de la violence et au risque de coalition de comploteurs contre le pays. Nous les soutenons dans leur combat pour notre souveraineté, mais nous les invitons à plus de discernement et de tact. Le Mali a besoin de tout le monde comme les autres ont besoin de nous. Nous sommes complémentaires et nous ne pouvons vivre en autarcie. Soyons fermes, mais prudents dans nos prises de décisions.
Mali Tribune : Certaines voix donnent souvent l’impression qu’il faut choisir entre les enjeux sécuritaires et les enjeux démocratiques. Est-ce inévitable ?
Y S. : Non, les deux doivent aller de pair. Bien sûr, la priorité au Mali est à la sécurité, mais pourquoi l’opposer à la démocratie ? La plus belle des réponses au terrorisme, c’est la démocratie. La lutte contre le terrorisme est bien plus efficace quand elle s’appuie sur l’élan démocratique des populations et l’Etat de droit. Et n’oublions jamais que si les terroristes s’attaquent à nos pays, c’est d’abord parce que nos pays se sont engagés dans des processus démocratiques, c’est-à-dire toutes les valeurs que les jihadistes détestent.
Mali Tribune : Pensez-vous que la relation la France et le Mali est définitivement morte ?
Y S. : Les tensions sont très vives au point qu’il parait difficile d’envisager une réconciliation à court terme entre les deux gouvernements. La raison et les intérêts réciproques des deux peuples liés par l’histoire, la culture finiront par prévaloir. Les liens entre les peuples résistent toujours aux brouilles entre des gouvernements. Cela nécessite du respect et de la proximité.
Le Mali tout comme l’Afrique change beaucoup et vite. Il appartient aux autorités françaises de mieux comprendre notre pays qui émerge, mieux saisir l’aspiration profonde de notre peuple, de discuter davantage avec les autorités actuelles du pays qui agissent aujourd’hui au nom du pays. Nous avons une jeunesse qui bouge, qui a étudié à l’étranger et qui est sans complexe face aux dirigeants actuels français, qui doivent comprendre désormais que les relations bilatérales entre nos deux pays doivent être fondées sur des intérêts mutuels.
Aujourd’hui, l’avenir de l’Afrique doit revenir entre les mains des Africains et de leurs dirigeants. Même s’ils doivent éviter d’être éternellement tournés vers le passé colonial français, mais vers demain, dans un partenariat gagnant-gagnant, en tant que partenaires, d’égal à égal, sans rien oublier de nos liens, ceux de l’histoire et de la langue.
Mali Tribune : Le Mali a signé l’accord pour la paix et la réconciliation, de plus en plus critiqué. Que retenez-vous après tant d’atermoiements ?
Y S. : Très sincèrement, je crois que cet accord était et est encore nécessaire, malgré ses insuffisances. Ça nous a permis de calmer les choses, de rassurer les belligérants pour qu’on puisse aller de l’avant. La situation dans le Nord du Mali est un problème assez complexe et n’est pas donné à tout le monde de la comprendre.
A mon avis, il faut féliciter ceux qui ont signé cet accord qui a permis de sauver des vies humaines et d’économiser certaines énergies qui ont été orientées vers la réflexion pour des actions de développement. Bien sûr, l’Accord n’avait pas pour objectif de régler tous les problèmes, mais d’engager une dynamique de paix et de réconciliation entre Maliens. Il est encore indispensable pour les Maliens de garder toute leur sagesse pour tirer toutes les opportunités de cet accord. Il nous faudra plus d’écoute et plus d’intelligence.
Mali Tribune : Comment percevez-vous la mise en œuvre de cet accord après la reprise des hostilités entre les FAMa et les ex-groupes armés signataires ?
Y S. : Je pense qu’il faut à toutes les parties une grande ouverture d’esprit. Les postures séparatistes et d’enfants gâtés de la République doivent être abandonnées sans aucune condition. Il faut impliquer beaucoup de personnes avisées dans l’appropriation de ce document pour qu’elles apportent leurs contributions à sa compréhension, sinon à sa relecture consensuelle. C’est une question nationale et non une question du Nord. Il y a beaucoup de compétences qui existent dans notre pays qui doivent être associées pour cette question qui est d’ordre pratique et non théorique.
Il faut une synergie de beaucoup de compétences pour réussir ce processus. Il faut s’écarter des analyses clivant, éviter les humiliations, les clichés stéréotypés. Il nous faut travailler encore sur la base de cet accord, renégocié entre Maliens, dans la sérénité, car la guerre ne saurait être la solution définitive des problèmes entre compatriotes, entre frères. Un mauvais arrangement, dans ce cas, vaut mieux qu’un conflit interminable. Le sang a assez coulé. On ne peut pas réaliser toutes les revendications. Les Maliens doivent s’écouter et chercher à aller réellement vers la solution des problèmes.
Mali Tribune : Les terroristes sont confondus aux musulmans et même à certaines ethnies au Mali. Quelle est votre réaction face à ce genre d’amalgame simpliste ?
Y S. : Dois-je rappeler que les premières victimes du terrorisme, partout où il s’est installé, sont d’abord les musulmans. Qu’on évite donc les amalgames, les raccourcis. Ce n’est pas l’islam qui est en jeu, ce sont des comportements déviants de certains qui utilisent le nom de l’Islam. La réponse au terrorisme, ce n’est certainement pas d’exacerber le choc des civilisations ou le choc des religions, ou encore d’attiser les conflits intercommunautaires en opposant les ethnies les unes contre les autres.
L’intolérance religieuse est très néfaste pour un pays. Ces terroristes se recrutent dans toutes les religions et dans toutes les ethnies. Le terreau du terrorisme, ce sont l’analphabétisme, l’injustice et la pauvreté. Améliorons notre gouvernance, rendons une justice juste dans laquelle les populations se reconnaissent et engageons-nous dans des actions de développement. Les discours ne nourrissent pas le peuple
Mali Tribune : Nous avons appris qu’une plateforme politique est en gestation entre votre parti et d’autres pour aller aux élections générales ensemble. Qu’en est-il exactement ?
Y S. : Bien sûr. C’est une plateforme politique et électorale qui va au-delà des élections… Sur la base des valeurs communes que sont la paix, la justice, la solidarité, l’exemplarité, l’honnêteté, l’intégrité, la démocratie, la liberté, une vision commune d’un Mali démocratique, prospère et solidaire, la Plateforme rassemble des formations politiques qui ont décidé de conjuguer leurs efforts autour d’un projet politique porteur d’espoir et d’espérance pour le peuple malien meurtri, en quête d’un avenir meilleur.
Convaincus de la nécessité de rassembler les Maliens autour d’une nouvelle vision politique, un programme commun de gouvernement pour une République solidaire et sociale, les initiateurs entendent renforcer la confiance entre la population et les gouvernants, en créant les conditions saines et démocratiques de l’accès au pouvoir et de son exercice. Toutes les énergies, toutes les expériences et expertises seront mobilisées dans ce sens.
Nous allons à adopter une stratégie concertée de candidature ou de liste de candidatures pour toutes les élections, y compris la présidentielle. L’objectif final recherché est le développement du Mali, le bien-être du peuple malien, la promotion de la bonne gouvernance, le renforcement de la démocratie, de l’unité nationale, de la cohésion sociale, de l’intégrité territoriale du Mali et de l’intégration africaine.
Mali Tribune : Et si elle échouait ?
Y S. : A partir du moment où nous avons engagé un processus, il faut tout faire pour sa réussite. Nous ne devons donc pas parier sur son échec. Elle réussira, car la détermination et l’engagement militant sont réels. Et les enjeux en valent la peine. Le processus a commencé depuis des mois et les initiateurs ont eu suffisamment de temps pour échanger, se découvrir et à surmonter tous les pièges. Il y a apparemment beaucoup de diversités, mais la beauté d’un tapis provient justement dans la diversité de ses couleurs.
En ces moments très graves de la crise multidimensionnelle que nous traversons tous sans exception, les Maliennes et les Maliens se doivent plus que jamais de dépasser leurs différends de tous ordres afin de s’en saisir pour tirer les enseignements des échecs successifs dans la gestion des affaires publiques, dans nos postures et comportements individuels en société, tout en faisant preuve d’une résilience plus remarquable, quant aux effets néfastes de ladite crise.
En tant que politiques, il nous faut impérativement démontrer notre volonté politique collective à aller de l’avant, de manière diligente, en nous écartant, pour la circonstance, des discussions politiciennes et parvenir ainsi au stade d’une mobilisation conséquente autour des actions prioritaires et urgentes du moment. L’enjeu, aujourd’hui, est assurément de rompre en profondeur avec tout ce qui nous a conduits à en arriver à une aussi terrible situation du pays. Nous devons en sortir le plus tôt possible, en ne laissant personne au bord de la route.
A l’Adéma/PASJ, nous sommes convaincus que la réussite de la Transition est notre affaire à chacun et à tous, en ce sens que de cette réussite dépendra la reconstruction du Mali que nous voulons un, indivisible, démocratique et prospère.
Interview réalisée par
Koureissy Cissé
Mali Tribune