Yaya Sangare, Secrétaire General ADEMA/PASJ : “La démocratie malienne a mûri, mais pas les acteurs politiques”
La date du 26-Mars 1992 renvoie à la fin de la dictature militaire de Moussa Traoré et l’ouverture sur l’ère démocratique au Mali. Secrétaire général du premier parti à porter démocratiquement un président de la République à la tête du pays, Yaya Sangaré estime que la démocratie malienne est mise à rude épreuve 30 ans après. Dans l’entretien qui suit, il fustige l’attitude de certains acteurs politiques qu’il tient pour responsables de nombreux maux.
MALI TRIBUNE : La date du 26-Mars 1991 renvoie à quoi pour l’Adéma/PASJ ?
Yaya Sangaré : Elle nous renvoie d’abord à une révolution populaire. La détermination des Maliens de changer de gouvernance, à créer un espace de liberté. Un espace d’expression plurielle. Un espace où les gens peuvent se réunir librement, s’associer comme ils le veulent. Tout cela dans le cadre du respect des lois bien sûr. Le 26-Mars 1991 nous rappelle également ces jeunes qui ont accepté de verser leur sang, de donner de leur vie pour que la démocratie, le pouvoir par le peuple pour le peuple, puisse s’instaurer dans notre pays. Ce sont des martyrs.
Donc à chaque fois qu’on pense à cette date on pense forcément à ces jeunes-là qui ont sacrifié leur vie pour l’avènement de la démocratie. Il y a eu également des personnes moins âgées et âgées, qui ont pu survivre, qui portent aujourd’hui encore les séquelles. Il y en a eu d’autres personnes qui en sont décédées. Nous tenons vraiment à manifester toute notre solidarité à ces personnes-là qui ont donné de leur vie pour qu’on puisse vivre ce moment de liberté dans notre pays.
MALI TRIBUNE : L’Adéma a été le premier parti à porter un président à la tête du pays de façon démocratique. Quels sont les grands acquis de votre parti ?
Y S. : L’Adéma a bénéficié de la confiance du peuple souverain du Mali en 1992 lors des premières élections démocratiques dans notre pays. Cette confiance, l’Adéma a voulu la traduire dans les actions de développement. D’abord, le peuple malien aspirait aux libertés fondamentales et l’Adéma a travaillé pour que ces libertés soient des acquis. Des acquis qui ne doivent pas être remis en cause. L’Adéma a travaillé à ce que la liberté de presse, la liberté d’association, la liberté d’opinion puissent être une réalité tangible dans notre pays. Et quand nous sortions du 26 mars 91, toute l’économie était à terre car la démocratie a été acquise de haute lutte. Donc l’Adéma a travaillé pour que cette économie puisse être remise à flot. Cela a d’ailleurs nécessité d’élargir la liberté d’investissement pour que l’initiative “privée” puisse être libérée afin de donner goût au particulier malien d’oser et de pouvoir s’inscrire dans cette logique d’investissement et de création d’emplois dans notre pays. Aussi, il fallait créer la confiance entre le Mali et les partenaires étrangers. Cela a été fait et le Mali était en chantier. Ce qui a permis de réaliser beaucoup tant sur le plan de l’industrie, que ce soit dans le cadre du commerce, de la santé avec les centres de santé communautaire, etc… Tous les services ont été touchés.
Un village, une école est également une initiative de l’Adéma pour permettre à tous les enfants de bénéficier de l’école publique. L’Adéma a également travaillé pour que les outils pédagogiques puissent être accessibles aux élèves et étudiants. Nous avons aussi lancé de grands projets dans le cadre des grandes écoles. Autre domaine non négligeable, l’Adéma a travaillé pour la paix, la cohésion, la quiétude et le vivre-ensemble parce que quand l’Adéma venait au pouvoir en 1992 les séquelles de la rébellion étaient là. L’Adéma a travaillé à ce que les Maliens puissent se retrouver. Cela a abouti à la “Flamme de la paix” pour amener à détruire les armes détenues par ces rebelles qui ont tué d’autres Maliens.
Cette action qui a amené un calme est citée en exemple partout dans le monde. C’est ce qui a aussi permis de réaliser toutes les actions de développement dans la quiétude. Sur le plan international, les acquis sont également là. Le Mali a retrouvé sa place dans le concert des nations à la suite des voyages du président d’alors Alpha Oumar Konaré à l’étranger et la venue d’autres chefs d’Etats dans notre pays permettant de renforcer les liens de coopération.
MALI TRIBUNE : Aujourd’hui quel regard portez-vous sur ces acquis ?
Y S. : Il y a beaucoup de ces acquis qui sont menacés aujourd’hui par la faute des acteurs. Je me plais à dire que la démocratie malienne a mûri, mais il se trouve que les acteurs politiques n’ont pas mûri. C’est incompréhensible de verser son sang pour la démocratie, le multipartisme, toutes les libertés fondamentales et que 30 ans après nous soyons là à se mettre les bâtons dans les roues et à vouloir soutenir un coup d’Etat qui est un crime imprescriptible.
A mon avis, il va falloir que les acteurs politiques, eux-mêmes, acceptent la rigueur de la démocratie. Malheureusement, aujourd’hui les acteurs politiques maliens ont pris la mauvaise habitude de ne pas vouloir être satisfaits et d’être en permanence en campagne. Ce qui nous amène aujourd’hui à un pouvoir militaire. Un pouvoir militaire, par essence, c’est une forme de dictature qu’on le veuille ou pas parce que le militaire n’est pas habitué à la discussion, au dialogue, à la contestation.
On ne peut pas encourager la conquête du pouvoir par les armes et vouloir en même temps que la démocratie puisse exister. Pour moi, la démocratie est entre parenthèses, à rude épreuve mais c’est la faute des acteurs politiques. La démocratie malienne est, 30 ans après, mûre, mais je ne suis pas sûr que les acteurs politiques soient mûrs.
MALI TRIBUNE : Quel jugement faites-vous de la gestion du pays après le passage de l’Adéma à la tête de l’Etat ?
- S. : Je pense que ceux qui ont suivi les pas de l’Adéma s’en sont bien sortis. Quoi qu’on dise, le projet de société de l’Adéma demeure. Ceux qui sont venus après l’Adéma ont tenté de mettre en œuvre, tant bien que mal, le projet de société de l’Adéma. A chaque fois qu’ils se sont écartés du projet de société de l’Adéma, le pays en a souffert. Même après la fin des mandats du président Konaré, l’Adéma a continué à apporter sa contribution pour la gestion du pays. A chaque fois que ces contributions ont été prises en compte dans les différents départements ministériels gérés par l’Adéma, les résultats ont été là. Nous avons aussi senti qu’il y a eu souvent des relâchements qui ont joué sur l’héritage laissé par l’Adéma. Ce qui fait que les hommes politiques sont aujourd’hui décriés et que des attentes de la population n’arrivent pas à être comblées.
MALI TRIBUNE : Quelles sont les perspectives pour l’Adéma/PASJ ?
Y S. : Nous avons géré le pays pendant 10 ans avec des succès. Nous ne les avons pas faits seuls, mais en compagnie d’autres hommes et femmes, d’autres partis politiques. Et ces résultats sont là. Alpha Oumar Konaré était arrivé à la conclusion que les frontières ne devraient pas être des blocages entre nos pays, mais plutôt des points de suture. Et qu’il fallait travailler à ce que toutes les frontières soient des pôles de développement. Trente ans après, l’Adéma estime que le Mali a toujours besoin des intelligences, ressources humaines, capacités organisationnelles de l’Adéma. La preuve est là car nous avons toujours inscrit nos actions dans le cadre de la démocratie.
L’Adéma ne s’est jamais associée à ceux qui ont voulu déstabiliser le pays ou vouloir à ce qu’il y ait eu la rupture constitutionnelle dans notre pays. L’Adéma est un parti où nous faisons toujours des contributions pour le bien-être des populations, pour la paix, la stabilité, des contributions pour que le Mali puisse être un pays émergent qui compte dans le concert des nations. Nous pensons aujourd’hui que le peuple malien a toujours besoin de l’Adéma.
Les 10 ans d’exercice du pouvoir sont la preuve éloquente que si demain on nous confiait encore la destinée du pays, nous avons la capacité de rassembler l’ensemble du peuple malien parce qu’aujourd’hui on a besoin de rassembler tous les Maliens selon leurs compétences, leur intelligence pour que nous puissions construire quelque chose de durable. Et l’Adéma l’a démontré de 1992 à 2002. Et ces personnes existent encore. Ces personnes ont aussi formé d’autres jeunes qui ont cette capacité de mobiliser conformément à notre vision qu’aucun parti seul ne peut conquérir et exercer le pouvoir sans l’adhésion des autres. Nous avons besoin de chacun pour bâtir un Mali de paix, un Mali stable et un Mali d’avenir pour les jeunes.
La raison d’être de l’Adéma est de conquérir et exercer le pouvoir. Nous nous sommes toujours inscrits dans cette dynamique et nous pensons toujours que nous avons quelque chose à apporter aux Maliens. Nos réalisations entre 1992 et 2002 sont assez éloquentes, illustratives pour que les Maliens continuent à nous faire confiance. Pour nous, tout va de l’homme et tout revient à l’homme. Tant que l’homme n’est pas développé, mieux encadré, il va être difficile qu’on puisse amorcer le développement que nous souhaitons.
L’Adéma a toujours été dans le starting-block pour bénéficier de la confiance des Maliens afin de leur proposer des réponses aux préoccupations qui se posent. Nous ne pensons pas avoir été écartés de la volonté du peuple malien. Au début de la démocratie, nous étions à une période d’apprentissage où des choses nous ont certainement échappé. Mais 30 ans après, nous avons tiré toutes les leçons et si on nous confiait de nouveau la gestion du pays, nous allions le faire conformément à la volonté du peuple malien.
Propos recueillis par
Alassane Cissouma
Mali Tribune