« Une grève ne se résout que par le dialogue social » Diarra Racky Talla Ministre du Travail et de la Fonction publique
Depuis son arrivée au ministère du Travail et de la fonction publique, chargé des relations avec les institutions, au mois de septembre 2018, Diarra Racky Talla est à pied d’œuvre pour trouver un consensus entre le gouvernement et les travailleurs. Elle est aussi chargée de l’élaboration de la législation du travail, de son application et du contrôle de son application dans le secteur privé.
Racky Talla, 53 ans, a obtenu un consensus avec l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), l’une des plus importantes centrales syndicales du Mali. Mais, depuis quelques mois, la grève des enseignants paralyse l’école. Après une tournée dans la région de Sikasso la semaine dernière, pour faire baisser « la tension sociale », Diarra Racky Talla continue son offensive de « dialogue ». En fin de semaine dernière, cette mère de quatre enfants, qui gère plus de 40 011 fonctionnaires de l’État et 13 000 autres contractuels, a rendu visite aux familles fondatrices de Bamako pour évoquer la grève des enseignants, avant de demander leur implication. Elle est sur tous les fronts, à commencer par les négociations avec les centrales syndicales, pour coordonner le dialogue social dans les départements ministériels et le secteur privé. Diarra Racky Talla nous a accordé cet entretien le 7 mars dernier, un jour avant la Journée des femmes.
Nord sud journal : Les enseignants sont en grève depuis quelques mois, une situation qui paralyse l’école malienne. Comment comptez-vous résoudre cette crise ?
Diarra Racky Talla : Une grève ne se résout que par le dialogue social. Au Mali, il y a plus d’une vingtaine de syndicats, qui sont soit libres soit autonomes, et il y a des syndicats qui ne sont affiliés à aucune centrale syndicale. Ce qui fait qu’aujourd’hui les interlocuteurs de l’État sont multiples. Les grèves se sont multipliées et les négociations aussi. Par manque de formation, la plupart des syndicats de base, et c’est leur droit, au lieu de passer par les centrales syndicales auxquelles ils sont affiliés préfèrent déposer leurs revendications directement sur la table du ministre du Travail. C’est le cas du Collectif des enseignants, dont certains sont affiliés jusqu’à trois centrales syndicales. C’est une liberté, mais ça ne facilite pas le dialogue. Cela ne conforte pas la paix sociale et, quand les demandes deviennent catégorielles à ce point, il est très difficile d’aller vers une harmonisation.
Est-ce que les revendications des enseignants vont au-delà de ce que demande leur mission ?
Ils ont posé dix points et nous avons eu un accord sur six, voire même sept. Nous pensons que les trois autres ne sont pas rationnels. Ce sont des doléances qui sont discriminatoires et dont les incidences financières, plus de 55 milliards de francs CFA, ne sont pas soutenables par le gouvernement.
Pourquoi certaines revendications sont-elles d’ordre discriminatoire ? Parce que quand on parle de primes et indemnités, comme les frais de correction et de surveillance, qui sont octroyés à l’ensemble des intervenants aux examens et concours en République du Mali, et qu’une seule corporation demande la hausse des frais, c’est discriminatoire. Je vous rappelle que c’est un seul texte qui régit l’ensemble des intervenants dans les concours et examens. Le deuxième point non rationnel est la prime de logement. C’est une prime qui est liée à la notion d’astreinte et est octroyée à des agents de l’État qui sont sous astreinte. Il s’agit des fonctionnaires de défense et de certains hauts responsables, dont les fonctions requièrent une présence permanente, comme les gouverneurs, préfets, sous-préfets, directeurs d’académie. Pour ces fonctionnaires; en cas où l’État ne leur fournit pas de logement, les textes prévoient des primes de logement. Les enseignants ne sont pas logés dans ce registre de statut et n’ont pas la même mission que cette catégorie. Pour nous, si les enseignants demandent une prime de logement, à l’instar des policiers, cela n’est pas rationnel.
Beaucoup de Malien pensent à une année blanche…
Nous avons bon espoir. Nous pensons qu’avec toutes les interventions en cours en ce moment les enseignants reviendront à des meilleurs sentiments. Qu’on sache que si l’année est blanche, ce n’est pas pour le gouvernement ou les parents d’élèves uniquement, c’est pour le Mali. Les conséquences d’une année blanche s’étalent sur toute une génération. Au Mali, on a suffisamment des choses à gérer, il ne faudrait pas en rajouter. Nous ne pensons pas à une année blanche parce qu’il est encore temps de sauver l’année. Nous ferons tout pour cela, afin que nos enfants puissent rejoindre les classes.
Le gouvernement malien a adopté une loi qui prévoit 30% de postes pour les femmes. Est-ce qu’aujourd’hui ce quota est respecté ?
Cette loi portant sur le genre est récente et est le fruit d’un long combat, et aussi d’un long processus qui a abouti fort heureusement. Il a placé la femme au cœur de toutes les politiques. La volonté politique manifeste du chef de l’État, Son Excellence Monsieur Ibrahim Boubacar Keita, est là, à travers les fonctions nominatives. 30% des portefeuilles ministériels sont occupés par des femmes. Mais les femmes sont aussi à la tête de beaucoup de structures, de beaucoup de directions et de beaucoup d’ambassades. Cela est valable aussi dans les postes électifs. Les femmes ont bénéficié d’un grand soutien du Président de la République. Des lois ont été réaménagées pour que l’équilibre soit trouvé et que le quota soit respecté. Donc nous pensons que le combat est légitime. Et il va continuer.
Quel est le pourcentage de femmes dans la fonction publique ?
Aujourd’hui, dans la fonction publique malienne, les femmes représentent 29%. Tout récemment, lors du concours d’entrée à la fonction publique, elles ont fait un score de quasiment 32% de taux de réussite. Le résultat de ce concours a été proclamé il y a juste 15 jours. L’année dernière, elles étaient à 31% de réussite à ce même concours, contre seulement 5% en 2014 et 8% en 2015. Ce qui prouve que les politiques mises en place pour la promotion des femmes sont en marche. Nous pensons que les femmes ont compris le message et qu’elles ont décidé de s’affirmer dans tous les domaines.
Aujourd’hui, avons nous un nombre élevé de femmes compétentes dans leur domaine ?
Il y a un déficit criard sur le plan des compétences, que nous essayons de combler par la voie des formations des femmes, pour qu’elles puissent vraiment accéder à certaines fonctions et à certains postes. Sur les 29% des femmes à la fonction publique, il n’y a que 6 à 7% des femmes qui ont un niveau leur permettant d’accéder à des postes supérieurs. C’est un gros déficit, dont l’origine est connue. La plupart des filles ne terminent pas leur cursus scolaire. Depuis 2014 nous constatons que le taux de scolarisation des filles est supérieur au taux de scolarisation des garçons au niveau des écoles fondamentales et préscolaires, mais, après le niveau Diplôme d’études fondamentales (DEF), on a très peu de filles qui continuent. Les politiques doivent se diriger désormais vers le maintien des filles à l’école pour qu’elles fassent des études supérieures pour combler ce déficit.
Justement, selon l’Unicef, 50% des enfants maliens ne vont pas à l’école et plus de la moitié de ces enfants sont des filles. C’est inquiétant pour l’avenir ?
Ces statistiques sont circonstancielles. C’est à cause de la crise sécuritaire que traverse le Mali. Il y a des zones où les écoles sont fermées depuis très longtemps, mais le gouvernement est à pied l’œuvre pour que l’ensemble des écoles soit ouvertes dans ces localités. Il fait de son mieux pour que l’ensemble des enfants, quels qu’ils soient, aient accès à l’éducation. Je pense que les populations maliennes ont pris conscience de la nécessité d’impacts positifs de l’école depuis fort longtemps. Je vous rappelle que depuis l’avènement de la démocratie, dans les années 90, la politique du gouvernement était un village, une école. Cette politique a évolué et on a aujourd’hui placé l’école dans le cadre de la décentralisation. Le recrutement des enseignants est dévolu désormais au cadre décentralisé afin de donner l’opportunité à tous les enfants d’aller à l’école et d’assurer la présence effective des instituteurs et des professeurs dans les localités.
Vous pensez donc qu’il faut une politique spécifique pour maintenir les filles à l’école ?
Quelle que soit la politique que nous aurons, cela dépendra des populations. Le Mali est un pays à forte population rurale et que nous avons des traditions, qu’il ne faut pas abandonner, mais plutôt revisiter pour les adapter au contexte actuel. Vous savez qu’il y a le phénomène des mariages précoces, cause pour laquelle la petite fille est souvent enlevée de l’école pour aller travailler afin de préparer son trousseau pour le mariage. Il va falloir faire une grande campagne de sensibilisation, une forte campagne d’implication des parents et prendre certaines mesures fortes pour préciser
l’âge du mariage afin de limiter les dégâts.
N’avez-vous pas peur qu’on se retrouve avec des femmes à des places qu’elles ne peuvent pas occuper, ce qui pourrait être une contre publicité ?
Je ne pense pas qu’il y ait ce genre de cas au Mali, parce que les postes ne sont pas occupés de façon arbitraire. L’occupation des emplois obéit à des règles bien précises, codifiées dans nos lois et dans nos règlements. Oui, nous n’atteignons pas très souvent 30% dans certains domaines, mais nous œuvrons à renforcer les capacités des femmes pour qu’elles puissent accéder à des emplois supérieurs. Tous les pays qui ont atteint un quota de 50% d’emplois occupés par les femmes ou qui sont au dessus sont des pays à forte tradition démocratique, des pays dans lesquels la politique du genre n’a pas commencé récemment, comme chez nous. Mais tous les pays ont conscience que le développement d’un pays et l’avenir du monde reposent sur les femmes. La notion de dividende démographique repose sur les femmes et sur la jeunesse. C’est le lieu pour moi de rendre hommage à toutes les femmes, à toutes les braves ménagères au foyer, à toutes les femmes travailleuses. Elles sont dans tous les domaines. Et aussi aux hommes qui nous soutiennent, qui nous accompagnent.
Nordsud journal