Un candidat écrit à la présidente de la Cour constitutionnelle « Comment peut-on imaginer que des élections puissent se tenir dans un pays où… »
Dans une réquête adressée à la présidente de la Cour constitutionnelle, Boubacar Pléa, candidat indépendant aux élections législatives demande le report desdites élections. Pourquoi ?
À
Madame la Présidente de la Cour Constitutionnelle
Madame la Présidente, par la présente, je viens très respectueusement vous demander de bien vouloir prononcer le report des élections législatives prévues les 29 mars et 19 avril prochains.
Le Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation a indiqué [dans quel cadre?] que le Conseil des Ministres a adopté [date?] un projet de décret portant convocation du collège électoral, ouverture et fermeture de la campagne électorale à l’occasion de l’élection des députés à l’Hémicycle.
Le communiqué précise : « Le collège électoral est convoqué le dimanche 29 mars 2020, sur toute l’étendue du territoire national, à l’effet de procéder à l’élection des Députés à l’Assemblée nationale ». Cela conformément aux résolutions du Dialogue National Inclusif (DNI).
Madame la Présidente, nous sommes convaincus qu’aujourd’hui, tout concoure à ce que cette élection soit contestée, voire rejetée, eu égard au contexte politique et sécuritaire qui n’en garantit pas le bon déroulement.
Nous considérons que les résultats acquis sans la participation effective de centaines de milliers de nos concitoyennes et concitoyens – nous pensons ici aux populations soumises à l’insécurité dans une large partie du territoire, mais aussi aux réfugiés, aux déplacés, etc. – perdraient toute légitimité aux yeux de l’opinion publique malienne et au-delà.
Comment peut-on imaginer que des élections nationales puissent se tenir dans un pays où les deux tiers du territoire subissent quasi quotidiennement des attaques meurtrières, non seulement contre nos forces de défense, mais aussi les civils qui subissent de véritables massacres : Ogossagou le 23 mars 2019 ; Sokolo le 26 janvier 2020 ; Ogossagou à nouveau le 14 février dernier ; etc.
Selon l’UNHCR, en décembre 2019, 138 600 de nos concitoyens étaient toujours dans des camps de réfugiés au Burkina Faso, au Niger et en Mauritanie, 199 385 étaient recensés comme déplacés internes, tandis que l’OCHA comptabilisait plus de 1 000 écoles fermées lors de la dernière rentrée scolaire.
Madame la Présidente, vous êtes sans doute mieux placées que quiconque pour apprécier l’ampleur des difficultés auxquelles se confronteront les prochaines élections si jamais elles avaient lieu : quelque 338 000 maliennes et maliens réfugiés ou déplacés seront d’ores et déjà exclus, sans parler des centaines de milliers de personnes qui ne pourront se rendre dans les bureaux de vote pour des raisons de sécurité.
Estimez-vous que notre démocratie électorale, acquise de haute lutte, pourra résister à autant de citoyens exclus des élections nationales ?
Madame la Présidente, vous êtes également mieux placées que quiconque pour savoir que dans certaines localités des régions de Mopti et Ségou, l’administration a littéralement déserté le territoire.
Nous pensons qu’il est impossible d’organiser des élections sans la présence effective de l’administration garante de la légalité des suffrages exprimés, mais aussi de nos forces de défense qui permettent d’assurer la sécurité publique.
Qu’est-ce que nos concitoyens, ainsi privés de vote, penseront de nous, Madame la Présidente ? Et s’ils nous disent un jour que nous avons accepté de décider sans eux, comment allons-nous répondre à ces questions devant l’histoire ?
Les problèmes qui menacent notre démocratie du fait de l’insécurité et de la crise au septentrion de notre pays, sont loin d’être résolus.
Madame la Présidente, nous avons la conviction que le gouvernement sera dans l’incapacité d’organiser des élections libres, transparentes et reconnues comme telles par tous au Mali et vis-à-vis de la communauté internationale.
Pire encore, car l’échec prévisible de la mise en place d’élections démocratiques auxquelles chaque citoyen peut participer, risque de créer des troubles partout dans le pays, y compris dans notre capitale où règne encore une certaine tranquillité.
Veillons à ce que notre cher pays, Bamako tout spécialement, reste calme et préservons encore la chance de dépasser cette crise multidimensionnelle qui meurtrit notre nation depuis 8 ans.
Madame la Présidente, vous êtes désormais notre ultime espoir. Vous représentez en effet la seule institution aujourd’hui capable de proroger légalement les élections législatives, jusqu’à une date qui sera plus propice à l’organisation d’élections libres, transparentes et acceptée de toutes et de tous.
Ce pouvoir propre au Conseil constitutionnel que vous présidez, a été clairement exprimé à l’article 94 de la Constitution, et ce pour la préservation des institutions démocratique du pays : « Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales ».
Dans l’attente d’une suite favorable à cette requête, je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de ma très haute considération.
Bamako, le 24 Février 2020
Le candidat
Boubacar PLEA
Candidat Indépendant aux élections législatives
Commune IV du District de Bamako
Sebenicoro Sema II
Cell : 74.15.71.22
L’Aube