Terrorisme au Mali : la charia, « une ligne rouge » dans les négociations avec les jihadistes
Faut-il adopter la loi islamique, ou charia, au Mali ? C’est la délicate question qui fait débat dans ce pays, dans la perspective des négociations envisagées entre le gouvernement et certains groupes jihadistes.
La charia, autrement dit la loi islamique, un mot qui donne la chair de poule à certains Maliens. Ils n’ont pas oublié les images d’horreur liées à l’arrivée des groupes islamistes inféodés à Al-Qaïda, qui ont occupé le nord de leur pays. C’était au début de l’année 2012. Les lapidations, les amputations, les flagellations étaient devenues courantes, « dans une tentative évidente de forcer la population à adopter leur vision du monde », avait dénoncé Human Rights Watch.
Ils n’ont jamais déposé les armes
Chassés du nord du Mali, les jihadistes se sont éparpillés, mais n’ont jamais déposé les armes. Ils contrôlent encore des zones entières, où ils tentent encore d’imposer la charia. En 2017, la presse malienne avait rapporté la mésaventure d’un couple qui avait été lapidé dans la région de Kidal, dans l’extrême nord-est. Accusés de vivre en concubinage en violation de la loi musulmane, l’homme et la femme avaient été arrêtés et lapidés par les islamistes.
C’est dire la méfiance et la crainte qu’ils suscitent auprès de certains Maliens, au moment où la question des négociations avec des groupes islamistes a été inscrite à l’ordre du jour. Les jihadistes comptent saisir l’occasion pour mettre sur la table le dossier de la charia qu’ils veulent voir adoptée au Mali.
« Je ne suis pas sûr que leur agenda soit compatible avec le Mali tel que nous le connaissons, le Mali de l’histoire des civilisations, le Mali ouvert et une société malienne qui est tolérante et modérée », redoute l’ancien Premier ministre malien Moussa Mara, sur l’antenne de RFI.
« La charia, nous ne marcherons pas »
De nombreux Maliens sont réservés sur la question de la charia. Certains n’hésitent pas à trancher avant même que ne débutent les négociations. Ils tracent d’ores et déjà une ligne rouge à ne pas dépasser.
On va vers le dialogue pour exploiter toutes les possibilités qui existent. Mais il y aura des lignes rouges. La charia, nous ne marcherons pasDevant la commission défense du Sénat à Paris
Les adversaires de la charia tiennent à la laïcité de l’Etat malien. Pour eux, le véritable enjeu est d’éviter d’adopter « des pratiques barbares et rétrogrades » dignes de l’ère médiévale. Il n’est donc question d’y toucher sous aucun prétexte. Mais tel n’est pas l’avis de tous.
« Certains citoyens sont très imprégnés de la religion islamique. On ne devrait pas les empêcher de recourir à la justice traditionnelle instaurée par la charia pour résoudre leurs problèmes, s’ils le désirent », plaide Me Ibrahima Ndiaye, notaire et membre du haut Conseil islamique du Mali.
Comme le rappelle l’ancien Premier ministre malien, Moussa Mara, dans certaines communes maliennes, il y a une quasi-application de la charia depuis des dizaines d’années, avec la complicité des populations locales. Ce sont des choses qu’on ne doit pas ignorer, estime-t-il. « Moi, je pense que ce qui ne doit en aucune manière être négociable, c’est justement le Mali ouvert, tolérant, multiconfessionnel et modéré », insiste-t-il. « Est-ce-que ce Mali-là est compatible avec ce que veulent les islamistes ? J’attends de voir ça », a confié l’ancien Premier ministre malien à RFI.
« La charia en échange de la paix ? Inconcevable »
Pour le chercheur Ibrahim Yahaya Ibrahim, spécialiste de la région du Sahel à l’International Crisis Group, il est inconcevable que les Maliens acceptent d’instaurer la charia en échange de la paix. « La majorité des Maliens y serait hostile », analyse-t-il. Mais pour lui, des compromis pourraient être réalisés sur un certain nombre de choses au cours de ces négociations avec les islamistes.
« Par exemple, le système des écoles coraniques, qui pourrait être réformé, amélioré voire intégré dans l’Etat malien. Ou la question des cadis, ces juges islamiques traditionnels qui n’ont aucune existence légale alors qu’ils sont utilisés fréquemment dans les zones rurales. Ne pourrait-on pas leur donner une fonction officielle » ?, suggère-t-il dans une interview au journal Libération.
Le dialogue avec les islamistes ne sera pas une solution miracle. Il sera difficile et compliqué, reconnaît le chercheur Ibrahim Yahaya Ibrahim. Mais il pense que cela vaut la peine d’essayer.
Source: Francetvinfo