Recrudescence des attaques armées au Centre : Incertitudes sur les élections législatives !
Alors que l’insécurité n’a jamais été aussi grande, les élections législatives sont annoncées pour le dimanche 29 mars prochain. Ces élections pourront-elles avoir lieu dans un contexte sécuritaire alarmant, avec une succession d’attaques contre les FAMas et des tueries contre les populations civiles sur une grande partie du pays ? Comment ces élections seront-elles sécurisées ? Comment la campagne électorale pourra-t-elle se tenir dans un contexte sécuritaire très dégradé ? Ce sont là autant de questions qui sont posées au sein d’une opinion malienne sceptique sur la tenue de ces législatives.
En effet, la situation sécuritaire au Nord et au Centre ne cesse de se détériorer. Les attaques terroristes de ces derniers mois, notamment à Sarkarla (à 10 km de Markala, cercle de Ségou), Sokolo (cercle de Niono), Dioungani (cercle de Koro) voire Indelimane, Tanbankort et d’ailleurs en sont l’illustration parfaite. Aussi, le pays est le théâtre d’affrontements intercommunautaires d’une rare violence. Ces affrontements deviennent le lot quotidien des populations dans le Centre du pays (région de Mopti et une partie de Ségou). Ils ont causé de nombreuse victimes et un nombre important de déplacés.
A propos des attaques, on a noté, pêle-mêle, celle qui a frappé le check point des Forces armées maliennes, appelé « Point A », dans le village de Sarkala, à une dizaine de km de Markala (Ségou). Dans la nuit 5 au 6 janvier 2020, des individus non identifiés se sont attaqués à cette position stratégique, avant le pont de Markala. « Des hommes, lourdement armés, ont commencé à tirer sur tout ce qu’ils voyaient. En surnombre face aux militaires, ceux-ci se sont repliés », a précisé une source.
Les assaillants ont pris le contrôle du poste et sont repartis avec du matériel trouvé sur place dont un véhicule. Après ce forfait, ils ont ciblé le poste de contrôle de la gendarmerie, toujours dans la même zone du « Point A ». Là aussi, ils sont repartis avec les motos du personnel. « Il n’y a eu que des dégâts matériels. Pas de perte en vie humaine », souligne une source. D’autres sources, sur place, indiquent que l’attaque a été perpétrée par une centaine d’hommes armés non identifiés circulant à motos. Les mêmes témoins indiquent, également, que les colonnes d’individus armés se sont dirigées vers M’bewani (Commune de Seribala).
Aussi, 6 soldats ont été tués et plusieurs blessés dans une autre attaque perpétrée par des hommes armés dans la nuit du mercredi 22 au jeudi 23 janvier derniers, à Dioungani, localité située à 52 km de la ville de Koro (région de Mopti). En effet, le poste militaire de cette petite localité a été attaqué par des hommes armés.
Entre attaques et affrontement inter-communautaires
Par ailleurs, le Centre continue d’être le théâtre d’affrontements intercommunautaires avec son lot de victimes dont de nombreuses femmes et ainsi que des enfants. Le vendredi 14 février, une attaque d’une rare violence a encore frappé Ogossagou. Bilan : Plus de 30 victimes et de nombreux blessés…
L’attaque menée par une trentaine d’hommes armés, dans la nuit du 13 au 14 février dernier, a été favorisée par le retrait, quelques heures auparavant, de l’armée, a expliqué le chef du village. Les stocks alimentaires ont été détruits et du bétail emporté, d’après des témoignages…
Au moins 456 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées dans les dizaines d’attaques perpétrées par des groupes armés, dit Human Rights Watch, qui indique que le bilan est sans doute beaucoup plus lourd. L’auteur de ce rapport, Corinne Dufka, évoque notamment l’amplification des violences communautaires, alimentées par la présence des groupes islamistes, un climat d’impunité, et « l’accès aisé aux armes ».
« Les groupes islamistes, explique-t-elle, ont concentré leurs efforts de recrutement envers la communauté peule. Et, en réponse à ça, ainsi qu’au manque de présence des forces de l’ordre, des groupes d’autodéfense bambaras et dogons ont été formés pour protéger leurs villages. Mais ils ont aussi fait des opérations contre les populations peules, qu’ils ont accusés de soutenir les groupes islamistes armés. En 2019, on a vu les atrocités les plus sévères dans l’histoire du Mali avec le massacre d’Ogossagou. Mais il y avait plusieurs incidents très sérieux, des groupes armés ont intensifié leurs attaques contre les civils, ils ont massacré des habitants dans des villages, de nombreux villageois ont été brûlés vifs, tandis que les autres ont été tués par les engins explosifs».
Par ailleurs, dans les régions de Kidal, Tombouctou, Gao ou Mopti, voire Ségou, Koulikoro, les représentants de l’Etat ont en effet dû abandonner leur poste face à la menace terroriste. Comment, dans ces conditions, les candidats pourraient-ils battre campagne, et l’État assurer la bonne tenue du scrutin ?
Autre épine dans le pied du gouvernement ? La position de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Elle estime unilatérale la convocation du collège électoral pour la tenue des législatives et pose des conditions pour sa participation. Cette Coordination conditionne sa participation à ces échéances électorales à la diligence d’engager le processus de la réorganisation territoriale et du nouveau découpage administratif ; à la prise en compte et en charge dans le prochain processus électoral des régions de Taoudéni et de Ménaka en plus des cercles d’El-Moustarat et d’Achibogho dont l’organisation territoriale a été adoptée par le Gouvernement en Conseil de ministres depuis le 28 février 2018 et à la possibilité de faire participer les centaines des milliers des réfugiés et déplacés internes.
Comme motif avancé pour de telles exigences, la CMA exprime sa volonté de faire bénéficier chaque citoyen de ses droits civiques et de le faire participer à la construction de la nation. Elle rappelle pour ce faire le Chapitre 2 – Article 5 – Paragraphe 3 – Alinéa 3 de l’Accord pour la paix qui stipule « une plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales ».
La classe politique en rang dispersé
Sur le plan politique, le principal regroupement de l’opposition prédit un hold-up électoral. Dans un communiqué de presse en date du 24 janvier 2020, le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) énumère des griefs sur la tenue des élections législatives de mars prochain. Pour le FSD, la convocation du collège électoral sans les réformes législatives nécessaires et la correction des tares du système électoral est une volonté manifeste du gouvernement et sa majorité d’orchestrer un hold-up électoral. «Il s’agit donc, ni plus ni moins pour le Gouvernement et sa majorité, de procéder par malice, en prenant comme prétexte les résolutions du Dialogue national inclusif pour répéter le hold-up électoral perpétré déjà lors de l’élection présidentielle de 2018. Un tel projet est évidemment porteur des germes d’une crise électorale dont notre pays n’a nullement besoin aujourd’hui. Le FSD réaffirme sa volonté de prendre part aux élections législatives et tient le gouvernement pour responsable de toute crise pré ou post-électorale pouvant survenir en raison de la persistance des déficiences à l’origine des précédents reports», indique le Président du FSD, Soumaïla Cissé.
Les griefs du regroupement politique conduit par le chef de file de l’opposition portent essentiellement sur l’absence de débat entre les acteurs concernés pour s’assurer que les déficiences à l’origine des précédents reports ont été corrigées. Il s’agit de la situation sécuritaire, l’opérationnalisation des nouvelles régions et des réformes électorales dont la nécessité a été unanimement reconnue, selon le FSD…
Aujourd’hui, si certains partis politiques se sont déjà engagés dans la bataille, avec le dépôt de leur liste électorale. Mais, nombreux sont les leaders politiques qui demandent, aussi, le report de ces élections, notamment Oumar Mariko, Aboubacar Sidick Fomba, Me MountagaTall…
Dr Oumar Mariko et Aboubacar Sidick Fomba, lors d’une conférence de presse, ont précisé que si les élections se tenaient dans de telles conditions, ce serait catastrophique pour la démocratie malienne et les députés qui en seront issues n’auront pas la légitimité requise pour parler au nom du peuple qu’ils sont censés représenter.
De son côté, le comité directeur du Congrès National d’Initiative Démocratique (CNID-FYT) à travers son président, Maître Mountaga Tall, a déposé une requête auprès de la Cour constitutionnelle, pour violation des dispositions de la Loi électorale du Mali, pour demander l’annulation de ces scrutins.
Dans cette requête en date du 21 février 2020, le Comité directeur du CNID-FYT demande l’annulation du décret n°2020-0010/P-RM du 22 janvier 2020 portant convocation du collège électoral, ouverture et clôture de la campagne électorale à l’occasion de l’élection des députés à l’Assemblée Nationale. Au motif qu’il viole, selon le CNID-FYT, les dispositions des articles 86 et 158 nouveaux de la Loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant Loi électorale en République du Mali.
A titre de rappel, l’article 86 nouveaux de la Loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant Loi électorale en République du Mali stipule que « les électeurs sont convoqués et la date du scrutin est fixée par décret pris en conseil des ministres et publié au journal officiel 60 jours au moins avant la date des élections ».
Son 1er alinéa précise qu’« en cas de nécessité, il peut être procédé à la convocation des collèges électoraux à des dates différentes pour les élections communales. Dans ce cas, les élections se dérouleront le même jour au niveau de l’ensemble des communes comprise dans une ou plusieurs régions ».
Ce qui selon le CNID contraste avec les dispositions du décret n°2020-0010/P-RM du 22 janvier 2020 portant convocation du collège électoral, ouverture et clôture de la campagne électorale à l’occasion de l’élection des députés à l’Assemblée Nationale, qui stipule que « le collège électoral est convoqué sur toute l’étendue du territoire nationale ».
D’après le CNID, l’élection des députés ne concerne pas toutes les circonscriptions électorales. Dans la mesure, dit-on au CNID, où des circonscriptions dûment créées par la Loi, qui constituent aussi des circonscriptions électorales, ont été exclues. Il faut à ce niveau rappeler que le gouvernement a prévu d’organiser les élections législatives sur la base des anciennes circonscriptions électorales. Ce qui reste inacceptable aux yeux du parti du soleil levant. En conséquence, le Comité directeur du CNID demande à la Cour Constitutionnelle l’annulation pure et simple de l’élection législative prévue par le décret n°2020-0010/P-RM du 22 janvier 2020 portant convocation du collège électoral, ouverture et clôture de la campagne électorale à l’occasion de l’élection des députés à l’Assemblée Nationale.
Mohamed Sylla
Source: L’Aube