Mali-Russie : Les retombées de la visite de Sergueï Lavrov
Le leader politique Mountaga Tall et le diplomate Balladji Diakité évoquent ci-dessous les possibles dividendes découlant du déplacement du puissant ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie dans notre pays
Me Mountaga Tall : LA RUSSIE EST UN PARTENAIRE FIABLE ET EFFICACE
La visite de Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères dans notre pays est d’abord une promesse tenue. Il a très rapidement honoré un engagement qu’il avait pris il y a à peine quelques semaines et il faut reconnaitre qu’il était impatiemment attendu par de nombreux Maliens.
Cette visite est historique parce que c’est la première fois qu’un ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie se rend au Mali. Mais elle ne peut être présentée comme un signe de diversification des partenaires du Mali dans la mesure où l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) a été un des tout premiers partenaires du Mali indépendant, sans lequel d’ailleurs les premiers pas du nouvel état auraient été particulièrement difficiles.
Les domaines éducatif, minier, industriel, culturel, agricole, aérien… avaient tous été explorés et investis. Certes, le coup d’état de 1968 a été suivi d’un affaiblissement des relations bilatérales mais jamais il n’y a eu de rupture. Ce qui se passe aujourd’hui est donc un réchauffement de relations anciennes, historiquement fortes, qui n’est par conséquent dirigé contre personne.
En termes de retombées de la visite du ministre Lavrov, il faut se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, le Mali peinait à acquérir des vecteurs aériens pour lutter efficacement contre les groupes terroristes. Même les appareils de simple transport de troupes ou même de civils ont été bloqués pendant de longs mois. Une telle situation oblige tout responsable sérieux et soucieux des intérêts supérieurs à explorer d’autres pistes.
La Fédération de Russie, à cet égard, s’est révélée être un partenaire fiable et efficace mais surtout respectueux du Mali dans le cadre d’un principe cardinal qui guide les relations internationales : l’égalité souveraine des états nonobstant les écarts de développement, démographiques ou le poids dans les institutions internationales.
Le champ de la coopération entre le Mali et la Russie a aussi vocation à embrasser à nouveau des domaines tels l’agriculture, l’éducation, les investissements, la culture, le secteur minier, le pétrole, les transports, l’énergie, le commerce et l’économie…
Le domaine humanitaire et la solidarité entre nations ne sont pas en reste avec des livraisons annoncées de blé et des engrais dans des conditions douces. La visite a permis aussi au Mali d’envisager l’approfondissement des relations entre les deux pays au niveau des Nations unies dont la Russie est membre permanent du Conseil de sécurité. à cet égard Serguei Lavrov s’est engagé à respecter et soutenir la mission permanente du Mali à l’Onu et, je cite, «lutter contre des approches colonialistes».
Une autre retombée est la participation annoncée du président de la Transition au prochain sommet Russie-Afrique qui donnera sans doute l’occasion aux deux chefs d’état de mieux se connaitre et de bonifier le réchauffement des relations bilatérales en cours. Enfin, et cela n’est le moins important, la visite de Sergueï Lavrov a permis au Mali de prouver qu’il n’est pas isolé et qu’il peut coopérer avec tous les pays du monde et toutes les grandes puissances.
N’est-ce pas là une illustration de souveraineté du Mali libre d’établir des relations avec tous dans le strict respect d’une autre règle sacro-sainte des relations internationale : la prise en compte des intérêts réciproques des parties.
Dans la foulée de cette visite, la Russie a décidé d’augmenter les bourses d’État octroyées aux étudiants maliens qui passent de 35 à 290 pour l’année académique 2023-2024. J’ai toujours soutenu que l’éducation est la priorité absolue et que l’investissement dans le savoir est le meilleur et le plus productif des investissements.
J’avais, moi-même, au cours d’une visite que j’avais effectuée en Russie lorsque j’avais en charge le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, œuvré pour une reprise vigoureuse de la coopération universitaire entre nos deux pays. J’applaudis donc des deux mains pour cette reprise et cette avancée qui doit s’amplifier. Et qui s’ajoute évidemment à notre coopération dans ce domaine avec d’autres pays. Ce qui est la preuve que la diversification n’est pas forcément la rupture. Il appartient à nos partenaires de le comprendre.
Balladji Diakité, diplomate : Cette visite va réchauffer le partenariat bilatéral
En tant qu’ancien diplomate du Mali à Moscou, j’étais 1er conseiller sous l’autorité de l’ambassadeur Abdoulaye Amadou Sy. Pendant cinq ans, nous avons travaillé sur le dossier de l’ex-URSS. La Russie actuelle tient l’héritage de l’ex-Union soviétique, qui était un pays de 15 Républiques. La Russie est en train de redorer le blason de l’ex-URSS. à l’époque, le dossier était très vivant.
Il y avait plusieurs aspects : coopération, économie et sécurité. Et maintenant, nous nous réjouissons de cette visite, particulièrement dans la mesure où elle va réchauffer ce dossier, qui est nouveau pour certaines personnes. Les retombées sont énormes sur le plan de la sécurité déjà. Vous savez, sous la première République et la seconde République, le Mali était, sur le plan militaire, très puissant. L’Armée malienne était très puissante et bien équipée avec des avions, des armements lourds, des munitions. Les soldats aussi bien que les officiers supérieurs étaient bien formés, bien aguerris. à l’époque, aucune armée de la sous-région ne pouvait se comparer à l’Armée malienne. Donc, cet héritage-là, les Maliens en étaient fiers.
Sur le plan de la formation, à l’époque, nous avons encadré, au moins, 2.000 étudiants maliens dans les universités. Il y avait une dizaine de Républiques qui formaient des étudiants maliens. Chaque année, s’il y a 100 qui rentrent, 150 arrivent, voire 200 ou 300. à notre dernière année, il y avait plus de 350 étudiants maliens qui sont arrivés pour la formation. Sur le plan de la coopération militaire, également, les soldats, les officiers et les sous-officiers venaient, régulièrement, se faire former dans les écoles de guerre en ex-Union soviétique.
Nous allons pouvoir bénéficier de cette coopération qui sera renouvelée, sans compter les équipements. Tout le monde voit déjà ce qui se passe. Tous les avions que vous voyez. Mais avant, l’Armée malienne était très bien dotée, il y avait des avions de transports, des Mig qui sillonnaient le ciel malien.
Tout cela va reprendre. On a un début de commencement déjà. Les gens estiment qu’il y a déjà, au moins, une centaine d’avions. Comme, c’est secret défense, personne ne connait le nombre. Mais, les observateurs pensent qu’il y a, au moins, une centaine d’avions : hélicoptères, avions de combat, de transport de matériel et des hommes. Je suis sûr qu’il y a, au minimum, 100 avions, sinon plus.
Nous, les diplomates de carrière, avons vu partout où les Nations unies sont parties pour s’installer afin d’assurer le maintien de la paix. Mais si elles vont, elles restent au minimum 20 ans, sinon 30 ans. Paix à son âme, l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta n’était pas tellement d’accord sur ça parce qu’il savait que si elles viennent, elles vont faire 30 ans.
Des gens qui viennent chez vous, qui restent 30 ans et le résultat est maigre, on ne peut se battre pour qu’ils restent. Au contraire, plus vite, ils partiront, mieux ça vaut. Vous savez, les populations dans les zones en proie à l’insécurité ne voient pas le résultat. Notre partenaire stratégique, comme c’était le cas, est venu rester 9 ans et le résultat est aussi très faible. Par conséquent, que le mandat ne soit même pas renouvelé, personne ne s’en plaindrait.
Propos recueillis par
Bembablin DOUMBIA
L’Essor