Mali: La réforme de l’éducation sexuelle continue de faire des vagues à Bamako
Au Mali, la polémique continue autour d’un manuel d’éducation sexuelle pour les adolescents qui était à l’étude par le ministère de l’Education.
Malgré l’annonce du retrait de ce projet par le gouvernement la semaine dernière, plusieurs milliers de Maliens ont manifesté dimanche à Bamako, à l’appel de l’imam Mahmoud Dicko. Le manuel comporte un chapitre sur l’orientation sexuelle, ce que le président du Haut Conseil islamique interprète comme une apologie de l’homosexualité.
Alors que la manifestation était déclarée reportée, voire annulée, voilà des centaines de jeunes musulmans qui convergent vers le palais de la Culture Amadou Hampâté Bâ de Bamako. Bientôt, ils seront quelques milliers. Pas de forces de l’ordre sur place pour empêcher cette manifestation non autorisée. Un des manifestants galvanise la foule : « Allah Akbar… ».
Quelques instants après, assis à côté de son chauffeur, Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM) et imam, arrive à la rencontre de ses partisans. Il est porté en triomphe.
« Pas de pédagogie autour du projet »
Dans l’enceinte du palais de la Culture, l’imam prend la parole. Pas un seul mot sur l’objet de son courroux. Il invite plutôt ses partisans à retourner dans le calme chez eux en attendant les futures consignes.
A côté de lui, des opposants maliens. Maître Mohamed Ali Bathily, candidat malheureux à la dernière présidentielle par exemple. Il prend la parole, fustige le gouvernement, utilise des mots durs pour dénoncer le projet pourtant abandonné du manuel scolaire qui aborde notamment la question de l’homosexualité.
« Manque de pédagogie » en amont
Pour Kalilou Sidibé, docteur en sciences politiques à l’université de Bamako, le gouvernement n’a pas su mettre en place une pédagogie autour de son projet. « Il fallait d’abord expliquer la méthodologie, dégager les objectifs à atteindre, préparer les enfants, les futurs adultes sur la vie sexuelle, sur la tolérance entre hommes et femmes, et à l’acceptation de l’autre, mais dans une perspective d’évolution de la société. Il n’y a pas eu de pédagogie à l’avance, c’est pourquoi les gens se sont braqués immédiatement. On sait que le Mali est une société fortement islamisée, musulmane en majorité, et dans cette majorité, on a une frange fondamentaliste. Si vraiment vous voulez faire progresser les droits, il faut au préalable négocier surtout avec les religieux et la société civile, les notables parce qu’on est dans une société conservatrice ».
« Un enjeu politique »
Pour Bréhima Ely Dicko, chef du département de socio-anthropologie à l’université de Bamako, la question de la sexualité est véritable enjeu politique dans son pays. « Le Mali dans sa Constitution est un pays laïc, mais lorsque vous interrogez les Maliens lors du recensement, ils répondent à 95% être de confession musulmane. Mais au-delà, les valeurs restent conservatrices et ensuite, depuis ces vingt dernières années, on a vu un peu la montée d’un islam politique. L’Etat aussi a courtisé par moments. Cela fait que, dans un contexte de crise politique post-électorale, c’est difficile même d’engager toutes les réformes. Et lorsque vous regardez aussi Mahmoud Dicko, il a eu ces derniers temps des soucis avec le président Ibrahim Boubacar Keita depuis 2013 qu’il l’avait appelé à voter pour lui et qu’il l’avait aidé. Entre temps, le désamour s’est installé. Donc ce n’est pas étonnant que l’invective vienne de lui ».
A la fin de la manifestation, le proche entourage de l’influent imam Mahmoud Dicko ne le cache pas, on entendra de plus en plus parler de lui au Mali.
Source : Rfi.fr