L’état d’urgence n’est pas prorogé : la cour suprême interpellée
Une fois qu’on a mis le pied à l’étrier des bricolages juridiques, c’est à une chevauchée sauvage de tripatouillages qu’on se condamne. C’est ce qui arrive à la Transition au pied mis à l’étrier des bricolages juridiques façonnés par la coexistence de la Constitution de 92 et de la Charte, faussement qualifiés de complémentaires, mais qui dans la réalité juridique, s’entrechoquent et se déchirent permanemment sans possibilité d’arbitrage.
Les conditions scandaleuses de prorogation de l’état d’urgence témoignent éloquemment de cet imbroglio constitutionnel.
CE QUE DIT LA CONSTITUTION
L’état d’urgence déclaré par le Décret n°2020-0317 du 18 décembre 2020, expire le lundi 28 décembre 2020 à minuit. Depuis le 29 décembre 2020 à 00 heure, le Mali n’est plus constitutionnellement sous le régime de l’état d’urgence.
La raison tient à l’article 72 de la Constitution que le Président de Transition Chef de l’Etat et son Vice-président avaient juré de respecter lors de leurs prestations de serment.
L’article 72 de la Constitution dispose : « L’état d’urgence et l’état de siège sont décrétés en Conseil des ministres. Leur prorogation au-delà de dix jours ne peut être autorisée que par l’Assemblée nationale… ».
DEUX POSSIBILITES S’OFFRAIENT AU GOUVERNEMENT
En d’autres termes, la Constitution qui s’impose à tous y compris et particulièrement aux autorités de la Transition, dit bien que seule une loi peut proroger l’état d’urgence.
A cet effet, deux possibilités s’offraient au gouvernement :
– soit initier un projet de loi de prorogation à soumettre pour vote au législatif ;
-soit initier un projet de loi d’habilitation à soumettre au législatif, afin d’obtenir l’autorisation de proroger par voie d’ordonnance l’état d’urgence.
LE GOUVERNEMENT OPTE POUR LE MEPRIS DE LA CONSTITUTION ET DE LA CHARTE
Dans le pur style des trop grandes libertés que le régime de IBK prenait avec les textes de la République, le gouvernement lors du Conseil des ministres du 23 décembre 2020, a directement prorogé par ordonnance l’état d’urgence ! L’article 72 de la Constitution de 92 emporte comme obligation juridique que la prorogation de l’état d’urgence est du domaine de la loi et non du domaine du règlement. En conséquence, seule une habilitation législative préalable ou loi habilitant le gouvernement lui permettait de prendre une ordonnance de prorogation de l’état d’urgence.
Le gouvernement a délibérément décidé de fouler au pied son obligation juridique découlant de l’article 72 de la Constitution. Plutôt que de se soumettre aux procédures constitutionnelles, le gouvernement se permet, sans justifier d’aucune autorisation de l’organe législatif, d’adopter directement un projet d’ordonnance prorogeant jusqu’au 26 juin 2021 à minuit l’état d’urgence en cours. Constitutionnellement parlant, l’ordonnance adoptée au Conseil des ministres du 23 décembre 2020 est nulle et de nul effet. L’état d’urgence expiré le 28 décembre 2020 à minuit n’est pas prorogé.
LA COUR SUPREME COMPLICE DE L’ORDONNANCE IRREGULIERE ?
Qui ne se souvient, comme si c’était hier, de l’aveuglement de complaisance de la Cour suprême dans l’obscurité duquel il avait parrainé la prestation de serment du Président et du Vice-président de la Transition ? Une prestation de serment avait tout l’air d’une intronisation en l’absence de publication au Journal officiel de la Charte qui lui avait servi de fondement juridique.
Qui ne se souvient, encore plus récemment, de la pirouette du double avis de la même Cour opinant dans un premier temps en faveur de la suprématie de la Charte sur la Constitution de 92, et dans un deuxième temps sur la suprématie de la Constitution sur la Charte ?
Dès lors, comment ne pas soupçonner de complicité de blanchiment d’ordonnance irrégulière, cette même Cour suprême ? La question se pose au regard de l’article 74 de la Constitution où il est stipulé que « les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis de la Cour Suprême ». Cet avis est émis dans les conditions de la loi n°2016-046/du23 septembre 2016 portant loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle, en ses articles 123 à 126 relatifs aux compétences de son Assemblée consultative.
Quelle application aurait-elle été faite de l’article 74 de la Constitution ? La Cour suprême a-t-elle été saisie avant l’adoption du projet d’ordonnance par le Conseil des ministres ? L’avis de la Cour suprême était-il favorable à ce projet d’ordonnance irrégulier ou le gouvernement serait-il passé outre son avis défavorable ? Cette batterie d’interrogations n’est pas sans frôler la
problématique fondamentale de la complicité éventuelle de la Cour suprême dans la validation de l’ordonnance irrégulière du 23 décembre 2020 prorogeant dans l’inconstitutionnalité absolue l’état de siège. Cette ordonnance est aveu implicite de l’Etat de non droit qui sévit dans toute sa brutalité sous des décors de constitutionnalité. Chaque jour que Dieu fait, les masques en la matière ne font que tomber.
Dr Brahima FOMBA Enseignant-Chercheur Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)