Le Mali : Un grand mauvais serviteur de l’Éducation
Croyons-nous en l’Education dans ce pays ? La question peut paraître insultante. Mais insulter son pays est, pour nous, le dernier crime à commettre. Si nous tenons à la poser, c’est parce qu’il nous a été donné de noter plusieurs réalités troublantes dans les rapports qu’entretiennent mes compatriotes avec l’Éducation, ici prise dans le sens de l’instruction. Quiconque fera l’effort d’y répondre admettra l’urgence d’améliorer la formation de notre population pour faire face aux défis actuels et à venir dans le monde.
Dans le discours officiel, il ne fait aucun doute que l’Éducation figure parmi les hautes priorités de la République et des familles. On semble conscient de ses enjeux et voir en elle la voie du progrès. On semble accepter qu’il s’agit d’un passage obligé, mais lequel valant tous les sacrifices faits à son honneur. Cependant, quand on s’éloigne de cet univers officiel, fait de professions de bonne foi, de chiffres douteux, et d’avancées peu ambitieuses, et que l’on se plonge dans le quotidien malien, on se rend vite compte que trop de choses dites sur l’Éducation sont à prendre avec des pincettes. D’abord, il faut constater que l’ignorance, due à une absence de toute forme de scolarité, a atteint des niveaux effrayants dans notre pays. Voir des Maliens qui n’ont été ni à l’École coranique ni à l’École laïque est fort courant.
La plupart d’entre ces non-instruits se retrouvent avec une culture limitée en tout. Ils savent peu de choses sur leurs devoirs religieux, sur l’histoire de leur pays, sur la vie institutionnelle et politique de leur État, sur le fonctionnement du monde. Combien de fois, par exemple, des jeunes en âge de voter m’ont demandé ce à quoi consiste le travail du Président de la République ou du Député, ou la différence entre un Maire et un Préfet ? Combien d’entre eux ignorent déjà leurs dates de naissance, leurs prénoms véritables inscrits sur leurs actes de naissance, pour espérer connaître un tout petit peu de l’histoire du Mali, vieille de plusieurs siècles, et de ses acteurs; pour espérer comprendre le contenu d’un programme politique ou les conséquences d’une crise internationale ?
Dans notre pays, ils sont nombreux à marcher sans un bagage intellectuel quelconque, devenant ainsi des proies faciles des arnaqueurs, des corrupteurs. Ils son fréquemment victimes de brimades administratives, des instrumentalisations politiques et des détournements spirituels. Ensuite, la bataille menée contre cette ignorance, si elle existe, n’a pas encore présenté des résultats probants. Aujourd’hui, le constat est que l’ignorance, après avoir vaincu les masses non-scolarisées, gagne du terrain dans les établissements scolaires. L’Étudiant qui s’exprime convenablement dans la langue qu’il a passé au moins treize années à apprendre; le lycéen apte à vous relater le Mali dans le Moyen-âge ou sous la décolonisation; le petit scientifique récitant ses formules ou prenant du plaisir à les manipuler; sont aujourd’hui les perles rares. Dans une certaine majorité, les têtes de nos apprenants sont froides, légères et perméables. Elles manquent de cette culture qui se développe lors des cours et qui fait que l’apprenant ne peut plus se passer de connaître. Elles manquent de cet esprit critique qui les font répéter les paroles des autres comme s’il s’agissait là d’un exploit, tout en manquant de faire participer leurs méninges. Elles manquent de cette assurance des apprenants convaincus de l’utilité de leurs enseignements et déterminés à faire bouger les choses en mieux, grâce à tout ce qu’ils auront appris.
Nous soupçonnons qu’à ces jours, l’apprenant malien le plus représentatif soit celui qui va à l’école sans vraiment savoir pourquoi. Peut-être y va-t-il pour faire comme les autres; pour ne pas rester à la maison; pour se trouver une occupation, pis, une distraction. Combien sont-ils à prendre le soin d’apprendre leurs leçons pour en faire usage ? Combien voient-ils en leurs études leur seul moyen, celui par lequel ils pourront accéder à une digne carrière professionnelle, sans avoir à courber l’échine ou à jouer le jeu des « bras longs » et magouilles; le moyen par lequel ils pourront significativement contribuer au mieux-être de leur société ? Combien savent-ils encore que la finalité des études n’est pas d’intégrer une élite embourgeoisée, de devenir des politiciens voleurs et sans scrupules, des médecins et hauts-fonctionnaires chroniquement corrompus, mais bien d’être source de soulagement pour ses compatriotes ?
Quant aux parents, quand cesseront-ils, dans leur majorité, de considérer l’Éducation comme un simple moyen d’accroître leur pouvoir d’achat ? Pourquoi sont-ils nombreux à ne s’intéresser aux études de leurs progénitures que quand ces dernières sont proches du premier salaire ? Pourquoi ne se préoccupent-ils pas de connaître les enseignements et enseignants de leurs Enfants ? Pourquoi face aux grèves et retards dans l’agenda scolaire malien, ne sortent-ils pas dans les rues, aux côtés de leurs enfants, mettre la pression sur le Gouvernement et les syndicats d’enseignants, comme ils le feraient pour toute autre question vraiment importante à leurs yeux ? Pourquoi, enfin, des parents maliens sont-ils plus enclins à offrir à l’enfant un boubou pour la Tabaski plutôt que le cahier ou le livre exigé par son enseignant ? L’engagement des parents n’est pas le plus exemplaire : ils n’ont pas atteint le stade où l’Éducation de leurs enfants est un impératif. Ils ne se sont pas suffisamment conformés au principe qu’ils doivent les accompagner tout au long de leur formation à l’École coranique ou laïque, jusqu’au jour où ils deviendront des hommes, aptes à servir.
Enfin, nous soupçonnons les acteurs politiques maliens de se réconforter dans l’ignorance des masses; celles qui sont manipulables et ne sont demandeuses d’aucun droit. On les endort avec les promesses, les calme avec les prétextes et les tient en respect avec les hommes en uniforme; tout en prenant le soin de détourner ou d’écarter les plus brillants parmi les jeunes qui voudront entrer dans le monde politique. Les milliards qu’ils disent investir dans l’Éducation sont à prouver, car dans notre pays, aucune université publique ne fonctionne normalement aujourd’hui : les effectifs explosifs, le mal-logement, la tenue des cours et des examens, la violence…Quant aux élèves arabisants, leur sort est des plus injustes : ils ont pendant longtemps été abandonnés à leurs maîtres et à eux-mêmes, dans la saleté, la faim, l’absence de maquettes pédagogiques ou de diplômes, comme s’ils n’étaient pas des enfants de la République, comme si leurs parents n’étaient pas soumis à l’imposition.
Le Mali qu’on voit n’est pas un grand serviteur de l’Éducation. Une grande partie de sa population, de sa jeunesse, reste dans les serres de l’ignorance. Il lui arrive rarement de construire des établissements scolaires, et ceux déjà en place s’éternisent dans la pénurie et les grèves; quand ils ne sont pas abandonnés à des corps enseignants dont le niveau est de plus en plus déplorable. Les milliards qu’on jure y avoir investis ne l’ont pas été, ou ont dû, par hasard, se trouver dans des poches de veste ou des coffres-forts, empêchant notre pays d’être une terre où fleurissent les sciences profanes et religieuses. La terre d’une jeunesse avide et nourrie de savoir, d’une population éclairée, qui sait décider de son avenir en comptant sur ses propres neurones et muscles. Le Mali sera quand ses citoyens sauront.
Inna Maïga
Source: Le Démocrate