Dr Témoré Tioulenta, ministre de l’Education nationale : «NOUS ŒUVRONS AVEC INTELLIGENCE POUR SAUVER L’ANNÉE SCOLAIRE»
Dans cette interview exclusive, le ministre de l’Education nationale explique les stratégies que le gouvernement compte mettre en place pour que les examens puissent se tenir conformément aux normes requises. Il a également évoqué le sort réservé aux enfants qui ne vont pas à l’école à cause de l’insécurité, avant de s’étendre sur le Programme décennal de développement de l’éducation, deuxième génération, destiné à réhabiliter en profondeur l’école malienne pour qu’elle renoue avec l’excellence
Monsieur le ministre, au moment où tous les Maliens craignaient une année blanche, vous avez rapidement débloqué la situation après votre prise de fonction. Comment vous y êtes arrivé ?
Dr Témoré Tioulenta : Je crois qu’il faut restituer les faits tels qu’ils sont. Non, je n’ai pas débloqué le mouvement de grève. Les syndicats signataires avaient déposé un préavis de grève, mais quand je venais, sept points de leurs revendications étaient pratiquement déjà satisfaits. C’est l’occasion de rendre un hommage mérité au gouvernement Maïga, à mon prédécesseur, Pr Témé, qui a fourni d’immenses efforts pour trouver une solution à cette crise qui menaçait l’année scolaire. Je voudrais aussi dire que c’est quelque part l’effort de tous les Maliens qui souhaitaient que l’on sorte de là. Plusieurs partenaires de l’école et des personnes ressources ont apporté leur contribution. Forcément la liste est longue, mais j’aimerais citer la Fédération nationale des parents d’élèves, l’Union nationale des retraités de l’éducation et de culture (UNEREC), l’AMSUNEEM, l’AEEM, les familles fondatrices de Bamako, les chefs religieux, les conciliateurs, le Médiateur de la République. Quand vous voyez tout ce monde, c’est un peu gênant de penser qu’un tel ou un tel autre peut réclamer ce résultat. S’il y a victoire, c’est la victoire du peuple malien. Mais, je voudrais mettre un accent particulier sur le gouvernement. Le Premier ministre Boubou Cissé, sous l’autorité du président de la République, a fourni un effort immense. Je me rappelle que c’est au premier conseil des ministres du nouveau gouvernement, que l’idée d’organiser une rencontre qui regrouperait tous ceux qui comptent pour trouver une solution a été retenue. Donc, le Premier ministre a appelé tout ce beau monde pour dire : « voilà la situation de l’école et nous attendons de vous des conseils, des soutiens et des bénédictions pour qu’on trouve une solution ». Je n’ai pas aussi oublié mon collègue du Dialogue social, Oumar Hamadoun Dicko, avec qui j’étais sur le terrain. C’est vrai, je suis l’heureux signataire de l’accord, mais je l’ai signé au nom du gouvernement.
Depuis le 20 mai, les grévistes ont repris les cours, mais est-ce que l’année peut réellement être sauvée après de longs mois d’arrêt des cours ?
Dr Témoré Tioulenta : L’un des éléments majeurs de l’Accord politique de gouvernance, c’est de sauver l’année scolaire et le gouvernement travaille à relever ce défi. Le fait qu’on ait signé un accord avec les syndicalistes, c’est un pas important. Je voudrais encore une fois remercier tous ceux qui se sont impliqués y compris les syndicalistes qui ont été jusqu’à mettre de côté certaines de leurs revendications. Ils se sont engagés auprès du chef de l’Etat, du chef du gouvernement pour dire qu’ils tiennent leur parole de retourner en classe et d’aller jusqu’aux examens. Notre mission est de sauver l’année scolaire. C’est dans ce cadre que nous avons réuni (lundi et mardi) les administrations scolaires. Les directeurs des services centraux, les directeurs d’Académie, les directeurs de CAP et les directeurs d’école, sont tous en train de travailler pour finaliser le processus par lequel nous allons renforcer les cours et les modalités d’aller aux examens.
L’année scolaire, c’est 9 mois. Pratiquement, il n’y a pas eu de cours pendant 5 mois, peut-on sauver l’année après ce retard dans les programmes ?
Dr Témoré Tioulenta : Quand on retourne aux années précédentes, rarement les programmes scolaires ont été épuisés. On a trop souvent parlé d’année tronquée, mais ce n’est pas ça qui compte aujourd’hui. Nous savons par exemple qu’au niveau BAC, il y a des normes internationales pour qu’une année académique soit considérée comme valide. C’est vrai, on a perdu du temps mais nous allons donner à nos enfants le nombre d’heures officiellement reconnues au niveau UEMOA pour qu’ils puissent passer un BAC normal.
L’hivernage a presque débuté dans notre pays. Est-ce que cela n’est pas un obstacle au déroulement normal des cours dans certaines parties du territoire ?
Dr Témoré Tioulenta : Dans nos lieux de prière, on prie le Seigneur pour qu’il nous apporte la bonne pluie. Le paysan demande au Seigneur de lui apporter un maximum de pluies pour que ses champs fleurissent. Oui l’hivernage arrive, mais nous avons suffisamment d’intelligence pour que les cours soient bien organisés. A travers vos reportages, j’ai vu à la reprise cette effervescence autour de l’école. Tous les parents d’élèves ont salué le retour à l’école. Je ne pense pas que ces mêmes parents vont emmener leurs enfants aux champs quand ils doivent venir à l’école. A l’évidence, un pédagogue apprécie l’environnement. S’il trouve qu’il y a eu de la pluie à un certain temps, il est censé trouver un autre temps plus clément pour donner son cours. Notre stratégie sera de dire : « voici le nombre d’heures qu’on doit livrer à un élève qui fait la classe terminale afin qu’il épuise son programme ». Maintenant au pédagogue, à l’administration scolaire, qui est dans son environnement, de savoir quand il pleut de trouver les formules qu’il faut pour que les cours puissent se dérouler. De la même façon, le DCAP d’Ansongo ou de Bourem, qui peut avoir le soleil à 5 heures du matin, peut adapter son programme à l’environnement pour que les enfants ne soient pas dans la haute chaleur et pour qu’ils puissent effectivement suivre leurs cours. Le Sikassois qui est dans une zone plus pluvieuse doit prendre les dispositions pour que son enfant ait le nombre d’heures requis pour aller aux examens. J’ai cette conviction que les Maliens sont suffisamment intelligents pour faire face aux adversités du moment.
Selon votre planning, comment les examens de fin d’année seront organisés ?
Dr Témoré Tioulenta : Comme je l’ai dit, mes collaborateurs sont en train de travailler et après nous allons analyser les propositions qu’ils auront à nous faire, et que nous allons partager avec nos partenaires. Les dates des examens qui ont circulé sur les réseaux sociaux ne sont pas nos dates. Mes collaborateurs sont en train de finaliser une feuille de route et après nous allons nous réunir pour l’apprécier.
Dans ce contexte particulier, est-ce que le baccalauréat malien de cette année peut être reconnu au niveau sous-régional voire, international ?
Dr Témoré Tioulenta : Je disais tantôt que nous sommes dans un environnement communautaire. Au niveau de l’UEMOA, il y a un nombre d’heures qui doivent être dispensées à un élève pour que l’examen qu’il passe puisse être validé. Le schéma dans lequel nous serons, va respecter cela.
Lors d’une rencontre avec les acteurs de l’école, le Premier ministre a déclaré qu’au-delà de l’année, c’est l’école malienne qu’il faudrait sauver. À ce propos, que comptez-vous faire pour sauver l’école malienne ?
Dr Témoré Tioulenta : L’école malienne vient de loin. Il fut un moment où il n’y avait pas assez d’écoles. Mais à partir de la IIIè République, après tous les constats, le gouvernement a élaboré un Programme décennal de développement de l’éducation (PRODEC). Je pense que tous ceux qui ont suivi l’exécution de ce programme, ont vu surgir un peu partout des écoles. Le taux de scolarisation a augmenté, mais il faut bien reconnaître que la qualité n’a pas suivi. Et c’est au moment où nous avions pris les dispositions pour relever le niveau, la crise est arrivée en 2012 et cela a fortement affecté l’école. Le gain engrangé au cours du PRODEC s’est affaissé à cause de cette crise.
Aujourd’hui, beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école, et ça nous fait mal car l’avenir du pays repose sur la qualité de ses ressources humaines. Face à cette situation, nous devons davantage redoubler d’effort pour remonter la pente. C’est pourquoi, le gouvernement a élaboré le PRODEC II pour prendre en charge davantage la question de qualité et réhabiliter tout ce qui a été dégradé à la suite de la crise de 2012. L’Etat malien prend en charge 76% du financement du PRODEC II. Donc, sauver l’école malienne passe par la réhabilitation. Nous ne parlons pas seulement de réhabilitation physique, mais de réhabilitation civique parce que tout simplement l’école fait partie d’un environnement social plus large.
En parlant de qualité, est-ce à dire que les recrutements vont seulement concerner les enseignants formés ?
Dr Témoré Tioulenta : Après mars 91, nous avons construit vingt Instituts de formation des maîtres. Avant, il n’y en avait que deux. Justement, il faut qu’on forme davantage les enseignants. Entre-temps, nous avons mis en place les directions régionales de l’éducation, un nombre important d’Académies, de Centres d’animation pédagogique (CAP). Tout cela pour que l’acteur pédagogique soit proche de la société globale. Nous travaillons pour renforcer les acquis par rapport à la formation. Au regard des besoins, nous avions été appelés à prendre en charge des enseignants qui ne sont pas sortis des écoles de formation, mais nous allons travailler pour que cela cesse.
Certains Maliens pensent que la dissolution de l’AEEM permettrait de ramener le calme dans l’espace scolaire. Qu’en pensez-vous ?
Dr Témoré Tioulenta : En mars 91, les Maliens ont lutté pour les libertés y compris la liberté d’association. Nous ne saurons empêcher à des Maliens libres de s’organiser pour revendiquer leurs droits. Donc, nous ne serons pas de ceux-là qui demanderaient la dissolution de l’AEEM tant qu’elle ne pose pas des actes qui vont à l’encontre de la loi. L’exercice de la liberté a ses règles. Tant que l’AEEM respecte ces règles, elle va exister.
On parle aussi de corruption, des notes de complaisance, des cas de harcèlement entre enseignants et élèves. Qu’est-ce qu’il faut faire pour débarrasser notre école de tous ces maux ?
Dr Témoré Tioulenta : J’aime des cas concrets. Quand vous me dites : dans telle école, un tel enseignant est corrompu, a donné une note de complaisance ou a effectivement posé un acte indécent, dans ce cas je pourrais répondre. Mais quoi qu’il en soit, l’école est régie par des règles. Toutes les fois qu’il y a des infractions de quelque nature que ce soit, c’est les règles de l’école ou les règles de droit commun en dehors de l’école s’il y a eu lieu qui doivent être appliquées.
Au nord et au centre du pays, de nombreuses écoles sont fermées. Que compte faire le gouvernement pour permettre aux enfants de ces zones d’aller à l’école ?
Dr Témoré Tioulenta : Je crois que si avons un immense chagrin, c’est cela. Ce n’est pas normal que les enfants soient privés de leur droit constitutionnel par l’arbitraire. Nous pensons que ce n’est pas seulement l’école qui doit fournir les efforts pour mettre fin à cette situation de non droit, mais c’est la société malienne dans ses différents compartiments.
Je dis encore une fois, c’est pénible pour tout Malien, davantage pour les cadres de l’éducation de constater que des enfants ne vont pas à l’école. Pour le moment, il n’y a eu que des solutions provisoires. Des dispositions ont été prises par des parents d’élèves, des ONG pour que ces enfants suivent les cours en attendant la normalisation de la situation sécuritaire.
Le gouvernement vient juste en conseil des ministres d’envisager la mise en place d’un cadre politique de gestion de la crise au centre. Donc, ce sera un outil supplémentaire par lequel le gouvernement compte, au-delà des mesures sécuritaires, gérer la situation.
Un nombre de ministères sont concernés par ce cadre politique qui doit mener une réflexion nourrie pour renforcer les dispositions et initiatives en cours.
Quel est votre mot de la fin ?
Dr Témoré Tioulenta : Nous devons ensemble saluer l’accord signé entre les syndicats et le gouvernement. C’est un acte fondateur. J’ai cette conviction qu’à partir de ce moment, nous aurons les coudées franches pour proposer aux Maliens ce qu’on pense être bon pour l’école malienne. Le temps réel d’apprentissage au Mali est aujourd’hui très faible. Nos enfants, même souvent en temps normal, sont dehors soit parce que les enseignants sont en grève, soit les étudiants sont en grève, soit une fête approche. Tout cela porte préjudice. Il est extrêmement important que tout le temps qui est consacré à l’école bénéficie effectivement à l’élève.
Parmi les chantiers que nous allons accélérer dans les semaines à venir, c’est de faire en sorte que tous les enfants maliens aient accès à l’éducation par différentes pistes. Vous constatez que des enfants qui fréquentent les écoles coraniques, sont de plus en plus dans la mendicité dans nos rues, ce n’est pas souhaitable. Donc, le gouvernement a pris l’initiative pour œuvrer à aligner les écoles coraniques sur le système éducatif. Au lieu que ces écoles coraniques relèvent du ministère de l’Administration territoriale, désormais elles relèveront du ministère de l’Education nationale. Nous allons œuvrer tous pour que ces enfants puissent avoir un environnement scolaire favorable, et qui, au bout, leur donnera un emploi.
Propos recueillis
par Madiba KEÏTA
L’Essor