Discours de Sergueï Lavrov à l’ONU : Les funérailles du monde unipolaire
Intervention du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors du débat public au sein du Conseil de Sécurité des Nations unies portant sur un multilatéralisme efficace reposant sur la défense des principes consacrés dans la Charte des Nations unies.
La 9308ème réunion du Conseil de Sécurité des Nations unies est déclarée ouverte.
L’ordre du jour provisoire de cette réunion est le suivant : « Maintien de la paix et de la sécurité internationales, un multilatéralisme efficace reposant sur la défense des principes consacrés dans la Charte des Nations unies ». L’ordre du jour est adopté.
Conformément à l’article 37 du Règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite les représentants de l’Afrique du Sud, de l’Arménie, de l’Australie, de l’Azerbaïdjan, de Bahreïn, de la Biélorussie, du Canada, de la Colombie, de Cuba, de l’Égypte, de l’Éthiopie, de l’Inde, de l’Indonésie, de l’Iran (République islamique d’), du Koweït, du Liban, de la Malaisie, du Maroc, du Mexique, du Népal, du Pakistan, des Philippines, de la République arabe syrienne, de la République de Corée, de la République démocratique populaire lao, de la Sierra Leone, de Singapour, de la Thaïlande, de la Turquie, du Turkménistan, de l’Uruguay, du Venezuela, et du Vietnam à participer à la présente séance. La décision est adoptée.
Le Conseil de Sécurité va maintenant entamer l’examen du point 2 de l’ordre du jour. Je voudrais attirer l’attention des membres du Conseil de Sécurité sur le document S/2023/244, une lettre datée du 3 avril de cette année, adressée au Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, par le Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations unies, transmettant un document de réflexion sur la question à l’examen.
Je souhaite la bienvenue au Secrétaire général de l’ONU, Son Excellence Antonio Guterres, et je lui donne la parole.
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Je remercie le Secrétaire général pour son exposé.
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Je vais maintenant faire une déclaration en ma qualité de Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.
Monsieur le Secrétaire général,
Chers collègues,
Il est symbolique que nous tenions notre réunion à l’occasion de la Journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie au service de la paix, introduite dans le calendrier des anniversaires par la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 12 décembre 2018.
Dans une quinzaine de jours, nous marquerons le 78e anniversaire de la victoire dans la Seconde Guerre mondiale. La défaite de l’Allemagne nazie, à laquelle mon pays a apporté une contribution décisive avec le soutien des Alliés, a jeté les bases de l’ordre international d’après-guerre. La Charte des Nations unies en a constitué un fondement juridique et notre organisation, incarnant un véritable multilatéralisme, a assumé un rôle central de coordination dans la politique mondiale.
En près de 80 ans d’existence, l’ONU remplissait la mission cruciale que lui avaient confiée ses pères fondateurs. Pendant des décennies, l’entente fondamentale des cinq membres permanents du Conseil de sécurité sur la primauté des objectifs et des principes de la Charte garantissait la sécurité mondiale. Ce faisant, elle a créé les conditions d’une véritable coopération multilatérale régie par des normes du droit international universellement reconnues.
Le système centré sur l’ONU est aujourd’hui en crise profonde. La cause première en est le désir de certains membres de notre organisation de remplacer le droit international et la Charte des Nations unies par une sorte d’ « ordre fondé sur des « règles » ». Personne n’a vu ces « règles », elles n’ont pas fait l’objet de négociations internationales transparentes. Elles sont inventées et appliquées pour contrecarrer les processus naturels de formation de nouveaux centres de développement indépendants, qui sont la manifestation objective du multilatéralisme. On tente de les contenir par des mesures unilatérales illégitimes, notamment en leur coupant l’accès aux technologies modernes et aux services financiers, en les écartant des chaînes d’approvisionnement, en confisquant leurs biens, en détruisant les infrastructures critiques des concurrents, en manipulant les normes et les procédures universellement reconnues. Le résultat est la fragmentation du commerce mondial, l’effondrement des mécanismes de marché, la paralysie de l’OMC et la transformation finale, non masquée, du FMI en un outil permettant d’atteindre les objectifs des États-Unis et de leurs alliés, y compris militaires.
Dans une tentative désespérée d’affirmer leur suprématie en punissant les récalcitrants, les États-Unis ont entrepris de détruire la mondialisation qui, pendant des années, avait été saluée comme le bien suprême de l’humanité, au service du système multilatéral de l’économie mondiale. Washington et le reste de l’Occident, qui lui est soumis, appliquent leurs « règles » chaque fois qu’ils ont besoin de justifier des mesures illégitimes à l’encontre de ceux qui alignent leurs politiques sur le droit international et refusent de suivre les intérêts rapaces du « milliard d’or ». Les dissidents sont mis à l’index sur la base du principe « celui qui n’est pas avec nous est contre nous ».
Nos homologues occidentaux sont depuis longtemps « mal à l’aise » pour négocier dans des formats universels tels que les Nations unies. Le thème des « démocraties » s’unissant contre les « autocraties » a été présenté comme une justification idéologique pour saper le multilatéralisme. Outre les « sommets pour la démocratie », dont la composition est déterminée par l’hégémon autoproclamé, d’autres « clubs de quelques élus » qui contournent les Nations unies sont mis en place.
« Sommets pour la démocratie », « Alliance pour le multilatéralisme », « Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle », « Coalition mondiale pour la liberté des médias », « Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace » – tous ces projets et d’autres encore, non inclusifs, sont conçus pour saper les négociations sur des sujets pertinents sous les auspices de l’ONU, pour imposer des concepts et des solutions non consensuels qui profitent à l’Occident. Ils se mettent d’abord d’accord en privé, dans un cercle restreint, et présentent ensuite ces accords comme « la position de la communauté internationale ». Appelons les choses par leur nom : personne n’a autorisé la minorité occidentale à parler au nom de toute l’humanité. Il faudrait se comporter avec décence et respecter tous les membres de la communauté internationale.
En imposant un « ordre fondé sur des règles », ses auteurs rejettent avec arrogance le principe clef de la Charte des Nations unies qu’est l’égalité souveraine des États. La quintessence du « complexe d’exclusivité » a été la déclaration « fière » du chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, selon laquelle « l’Europe est un jardin d’Eden et le reste du monde est une jungle ». Permettez-moi également de citer la déclaration conjointe OTAN-UE du 10 janvier dernier, qui dit : « L’Occident uni utilisera tous les instruments économiques, financiers, politiques et, j’attire particulièrement l’attention, militaires dont disposent l’Otan et l’UE pour garantir les intérêts de « notre milliard ». »
L’Occident collectif a également entrepris de remodeler le multilatéralisme au niveau régional. Il n’y a pas si longtemps, les États-Unis ont appelé à une renaissance de la « doctrine Monroe » et ont demandé aux pays d’Amérique latine de limiter leurs liens avec la Fédération de Russie et la République populaire de Chine. Cette ligne s’est toutefois heurtée à la détermination des pays de la région à renforcer leurs propres structures multilatérales, en particulier la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac), en défendant leur droit légitime à s’imposer comme l’un des piliers d’un monde multipolaire. La Russie soutient pleinement ces justes aspirations.
Les États-Unis et leurs alliés consacrent actuellement des efforts considérables à saper le multilatéralisme dans la région Asie-Pacifique, où un système ouvert et efficace de coopération économique et sécuritaire s’est développé au fil des décennies autour de l’Asean. Ce système a produit des approches consensuelles qui satisfont à la fois les Dix de l’Asean et ses partenaires de dialogue, notamment la Russie, la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Japon, l’Australie et la République de Corée, offrant ainsi un véritable multilatéralisme inclusif. Avec ses stratégies indopacifiques, Washington a entrepris de démanteler cette architecture bien établie.
Lors du sommet de Madrid de l’année dernière, l’OTAN, qui avait toujours cherché à convaincre tout le monde de son « caractère pacifique » et de la nature exclusivement défensive de ses programmes militaires, a déclaré sa « responsabilité mondiale », l’« indivisibilité de la sécurité » dans la région euro-atlantique et dans la région dite indopacifique. En d’autres termes, la « ligne de défense » de l’OTAN (en tant qu’Alliance défensive) se déplace désormais vers les rives occidentales du Pacifique. Les approches de blocs qui sapent le multilatéralisme centré sur l’Asean sont évidentes dans la création de l’alliance militaire Aukus, dans laquelle Tokyo, Séoul et un certain nombre de pays de l’ANASE se font enfourner. Des mécanismes sont mis en place sous l’égide des États-Unis pour interférer dans les questions de sécurité maritime en vue de garantir les intérêts unilatéraux de l’Occident dans les eaux de la mer de Chine méridionale. Hier, Josep Borrell, que j’ai cité précédemment, a promis de dépêcher des forces navales de l’Union européenne dans cette région. Il ne fait aucun doute que les stratégies indopacifiques sont conçues pour contenir la Chine et isoler la Russie. C’est ainsi que nos homologues occidentaux conçoivent le « multilatéralisme efficace » en Asie-Pacifique.
Après la dissolution de l’Organisation du Pacte de Varsovie et la disparition de l’Union soviétique, l’espoir d’une mise en œuvre d’un véritable multilatéralisme sans clivage dans l’espace euro-atlantique a commencé à poindre. Mais au lieu de libérer le potentiel de l’OSCE sur une base collective égale, les pays occidentaux ont non seulement conservé l’OTAN, mais, contrairement à leurs promesses solennelles, se sont lancés dans une prise de contrôle impudente de l’espace adjacent, y compris des régions où des intérêts russes vitaux ont toujours existé et continueront d’exister. Comme le secrétaire d’État américain de l’époque, James Baker, l’a signalé au président George H. W. Bush : « La principale menace pour l’OTAN, c’est l’OSCE ». J’ajouterais qu’aujourd’hui, l’ONU et les exigences de sa Charte constituent également une menace pour les ambitions mondiales de Washington.
La Russie a patiemment essayé de parvenir à des accords multilatéraux mutuellement bénéfiques basés sur le principe de l’indivisibilité de la sécurité, qui a été solennellement proclamé au plus haut niveau dans les documents des sommets de l’OSCE de 1999 et 2010. Ce principe stipule noir sur blanc que personne ne doit renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres et qu’aucun État, groupe d’États ou organisation ne peut se voir confier la responsabilité principale du maintien de la paix dans l’espace de l’OSCE ou considérer une partie de cet espace comme sa sphère d’influence.
L’OTAN a jeté à la poubelle ces engagements pris par les présidents et les premiers ministres de ses États membres et a commencé à agir exactement à l’opposé, proclamant son « droit » à l’arbitraire. Un exemple flagrant est le bombardement illégitime de la Yougoslavie en 1999, y compris avec des munitions à l’uranium appauvri, qui a entraîné par la suite une épidémie de cancer – tant chez les citoyens serbes que chez les militaires de l’OTAN. Joe Biden était sénateur à l’époque et il a déclaré non sans fierté devant les caméras qu’il avait personnellement préconisé le bombardement de Belgrade et la destruction de tous les ponts sur la rivière Drina. Aujourd’hui, l’ambassadeur américain à Belgrade, Christopher R. Hill, appelle les Serbes, par l’intermédiaire des médias, à « tourner la page » et à « cesser de s’offusquer ». Les États-Unis ont accumulé une riche expérience en matière de « cessation de l’offense ». Le Japon a longtemps gardé un silence gêné sur les auteurs des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Pas un mot à ce sujet dans les manuels scolaires. Récemment, lors de la réunion du G7, le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’est contenté de déplorer avec pathos les souffrances des victimes de ces bombardements, mais ne s’est pas résolu à mentionner qui les avait organisés. Telles sont les « règles ». Et personne n’ose les contredire.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, des dizaines d’aventures militaires criminelles ont été menées par Washington, sans aucune tentative d’obtenir une légitimité multilatérale. À quoi servirait-elle, alors qu’il existe, à l’insu de tous, des « règles » ?
L’invasion honteuse de l’Irak par la coalition dirigée par les États-Unis en 2003 a été menée en violation de la Charte des Nations unies, tout comme l’agression contre la Libye en 2011. Le résultat a été la destruction d’un État, des centaines de milliers de morts et un terrorisme endémique.
L’ingérence des États-Unis dans les affaires des États postsoviétiques a constitué une violation flagrante de la Charte des Nations unies. Les « révolutions de couleur » en Géorgie et au Kirghizstan et le coup d’État sanglant à Kiev en février 2014 ont été organisés. Cela inclut également les tentatives de prise de pouvoir par la force en Biélorussie en 2020.
Les Anglo-Saxons, qui dirigent avec assurance l’ensemble de l’Occident, non seulement justifient toutes ces aventures criminelles, mais se vantent également de leur ligne de « promotion de la démocratie ». Mais toujours selon leurs « règles » : pour le Kosovo – reconnaître l’indépendance sans aucun référendum ; pour la Crimée – ne rien reconnaître (bien qu’il y ait eu un référendum); pour les Malouines – ne pas y toucher, il y a eu un référendum (comme l’a récemment déclaré le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly). C’est ridicule.
Pour rejeter la politique des deux poids deux mesures, nous appelons chacun à s’inspirer des accords consensuels convenus dans le cadre de la déclaration des Nations unies de 1970 sur les principes du droit international, qui reste en vigueur. La nécessité de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de tout État « se conduisant conformément au principe de l’égalité de droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (…) et doté ainsi d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire » y est clairement énoncée. Il est évident pour tout observateur impartial que le régime nazi de Kiev ne peut en aucun cas être considéré comme représentant les habitants des territoires qui ont refusé d’accepter les résultats du coup d’État sanglant de février 2014 et contre lesquels les putschistes ont déclenché une guerre pour cela. Tout comme Pristina ne peut prétendre représenter les intérêts des Serbes du Kosovo, à qui l’UE a promis l’autonomie – de la même manière que Berlin et Paris avaient promis un statut spécial au Donbass. Le résultat de ces promesses est bien connu.
Notre Secrétaire général, M. Guterres, dans son discours au « Deuxième Sommet pour la démocratie » le 29 mars dernier, l’a parfaitement dit : « La démocratie découle de la Charte des Nations unies. Ses premiers mots – Nous les peuples – reflètent la source fondamentale du pouvoir légitime : le consentement de ceux qui sont gouvernés ». Le consentement. Permettez-moi d’insister à nouveau sur ce point.
Pour mettre fin à la guerre déclenchée par le coup d’État dans l’est de l’Ukraine, des efforts multilatéraux avaient été déployés en vue d’un règlement pacifique, qui se sont traduits par une résolution du Conseil de sécurité approuvant à l’unanimité les Accords de Minsk. Ces accords ont été foulés aux pieds par Kiev et ses maîtres occidentaux, qui ont eux-mêmes récemment admis, avec cynisme et même fierté, qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de les mettre en œuvre, mais qu’ils voulaient seulement gagner du temps pour approvisionner l’Ukraine en armes contre la Russie. Cette déclaration publique consacre une violation de l’obligation multilatérale de tous les membres des Nations Unies, telle qu’elle est inscrite dans la Charte des Nations unies, qui exige que tous les pays se conforment aux résolutions du Conseil de sécurité.
Nos actions cohérentes pour prévenir la confrontation, y compris la proposition de décembre 2021 du président russe Vladimir Poutine de négocier des garanties de sécurité mutuelles multilatérales, ont été rejetées avec arrogance. Personne, nous a-t-on dit, ne pouvait empêcher l’OTAN d’accueillir l’Ukraine dans son « étreinte ».
Au cours de toutes les années qui ont suivi le coup d’État, malgré nos demandes insistantes, aucun des maîtres occidentaux du régime de Kiev n’a critiqué Piotr Porochenko, Volodymyr Zelensky ou la Rada (parlement d’Ukraine) lorsque la langue russe, l’éducation, les médias et, en général, les traditions culturelles et religieuses russes ont été détruits par voie législative et de manière cohérente – en violation directe de la Constitution ukrainienne et des conventions universelles sur les droits des minorités ethniques. Dans le même temps, le régime de Kiev a introduit, par voie législative et dans la vie quotidienne, la théorie et la pratique du nazisme. Il n’a pas hésité à organiser de somptueuses processions aux flambeaux sous les bannières des divisions SS dans le centre de Kiev et dans d’autres villes. L’Occident gardait le silence et se « frottait les mains ». Ce qui se passait était tout à fait conforme aux plans des États-Unis d’utiliser le régime ouvertement raciste qu’ils avaient nourri dans l’espoir d’affaiblir profondément la Russie, conformément à l’orientation stratégique consistant à éliminer les concurrents et à saper tout scénario impliquant l’affirmation d’un multilatéralisme équitable dans les affaires mondiales.
Aujourd’hui, tout le monde le sait, même si tout le monde n’en parle pas à voix haute : il ne s’agit pas du tout de l’Ukraine, mais de la manière dont les relations internationales seront développées à l’avenir, par la construction d’un consensus durable basé sur un équilibre des intérêts ou par la promotion agressive et explosive de l’hégémonie. La « question ukrainienne » ne peut être considérée indépendamment du contexte géopolitique. Le multilatéralisme présuppose le respect de la Charte des Nations unies dans tous ses principes interdépendants, comme indiqué ci-dessus. La Russie a clairement expliqué les objectifs de son opération militaire spéciale: éliminer les menaces pour notre sécurité que l’OTAN fait peser depuis des années directement sur nos frontières et protéger les personnes qui ont été privées de leurs droits stipulés dans des conventions multilatérales, les protéger des menaces directes d’extermination et d’expulsion énoncées publiquement par le régime de Kiev des territoires où leurs ancêtres ont vécu pendant des siècles. Nous avons honnêtement dit pour quoi et pour qui nous nous battons.
Face à l’hystérie propagée par les États-Unis et l’Union européenne, je voudrais poser la question suivante, par contraste: que faisaient Washington et l’OTAN en Yougoslavie, en Irak et en Libye ? Leur sécurité, leur culture, leur religion et leurs langues étaient-elles menacées ? Quelles normes multilatérales les ont guidés pour déclarer l’indépendance du Kosovo au mépris des principes de l’OSCE, pour détruire les États stables et économiquement riches qu’étaient l’Irak et la Libye situés à 10 000 kilomètres des côtes américaines ?
Le système multilatéral a été menacé par les tentatives éhontées des États occidentaux de soumettre les secrétariats de l’ONU et d’autres institutions internationales. Il y a toujours eu un déséquilibre quantitatif en termes de leur personnel en faveur de l’Occident, mais jusqu’à récemment, le Secrétariat s’efforçait de rester neutre. Aujourd’hui, ce déséquilibre est devenu chronique, le personnel du Secrétariat s’engageant de plus en plus dans un comportement politiquement motivé, inapproprié pour des responsables internationaux. Nous appelons l’estimé Secrétaire général Guterres à veiller à ce que l’ensemble de son personnel adhère aux exigences d’impartialité conformément à l’article 100 de la Charte des Nations unies. Nous demandons également à la direction du Secrétariat, lors de la préparation des documents proactifs sur l’« agenda commun » et le « nouvel agenda pour la paix » susmentionnés, d’être guidée par la nécessité de suggérer aux pays membres comment trouver un consensus et un équilibre des intérêts, plutôt que de jouer le jeu des concepts néolibéraux. Sinon, au lieu d’un agenda multilatéral, le fossé entre le « milliard d’or » et la majorité mondiale s’approfondira.
Parler du multilatéralisme ne peut se limiter au contexte international, tout comme parler de la démocratie ne peut ignorer ce contexte international. Il ne doit pas y avoir de deux poids deux mesures. Le multilatéralisme et la démocratie devraient être respectés tant à l’intérieur des États que dans leurs relations mutuelles. Chacun sait que l’Occident, imposant sa conception de la démocratie aux autres, ne veut pas d’une démocratisation des relations internationales fondée sur le respect de l’égalité souveraine des États. Mais aujourd’hui, tout en promouvant ses « règles » sur la scène internationale, il « étouffe » le multilatéralisme et la démocratie chez lui, en utilisant des outils de plus en plus répressifs pour éliminer toute dissidence – tout comme le fait le régime criminel de Kiev, soutenu par ses maîtres – les États-Unis et leurs alliés.
Chers collègues, une fois de plus, comme pendant la guerre froide, nous sommes arrivés à un seuil dangereux, peut-être même encore plus dangereux. La situation est aggravée par la perte de confiance dans le multilatéralisme, lorsque l’agression financière et économique de l’Occident détruit les avantages de la mondialisation, lorsque Washington et ses alliés abandonnent la diplomatie et exigent de régler les différends « sur le champ de bataille ». Tout cela à l’intérieur des murs de l’ONU, qui a été créée pour prévenir les horreurs de la guerre. Les voix des forces responsables et raisonnables, les appels à la sagesse politique, la renaissance de la culture du dialogue sont noyés par ceux qui veulent saper les principes fondamentaux de la communication interétatique. Nous devons tous revenir aux origines: l’adhésion aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations Unies dans toute leur diversité et leur interconnexion.
Un véritable multilatéralisme exige aujourd’hui d’adapter les Nations unies aux tendances objectives vers une architecture multipolaire des relations internationales. La réforme du Conseil de sécurité devrait être accélérée par une représentation accrue des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. La surreprésentation excessive de l’Occident au sein de ce principal organe de l’ONU sape le principe du multilatéralisme.
Le Groupe des amis pour la défense de la Charte des Nations unies a été créé à l’initiative du Venezuela. Nous appelons tous les États qui respectent la Charte à y adhérer. Il est également important d’utiliser le potentiel constructif des BRICS et de l’OCS. La CEEA, la CEI et l’OTSC sont prêtes à apporter leur contribution. Nous sommes favorables à l’utilisation de l’initiative des associations régionales des pays du Sud global. Le G20 pourrait également jouer un rôle utile dans le maintien du multilatéralisme si les participants occidentaux cessent de détourner l’attention de leurs collègues des questions urgentes inscrites à son ordre du jour dans l’espoir de rendre moins évidente leur responsabilité dans l’accumulation des phénomènes de crise au sein de l’économie mondiale.
Il est de notre responsabilité commune de préserver les Nations Unies en tant que modèle forgé du multilatéralisme et de la coordination de la politique mondiale. La clef du succès est de travailler ensemble, de ne pas revendiquer l’exclusivité et – une fois de plus – de respecter l’égalité souveraine des États. C’est ce à quoi nous avons tous souscrit en ratifiant la Charte des Nations Unies.
En 2021, le président russe Vladimir Poutine a proposé de convoquer un sommet des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Les dirigeants de la Chine et de la France ont soutenu cette initiative, mais elle n’a malheureusement pas encore été mise en œuvre. Ce sujet est directement lié au multilatéralisme : non pas parce que les cinq puissances ont une sorte de privilège sur les autres, mais précisément en raison de la responsabilité particulière qui leur incombe, en vertu de la Charte des Nations unies, en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. C’est ce qu’exigent les impératifs du système centré sur l’ONU, qui s’effondre sous nos yeux en raison des actions de l’Occident.
Les préoccupations concernant cet état de fait se font de plus en plus entendre dans les nombreuses initiatives et idées du Sud global, de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, du monde arabe et du monde musulman en général, de l’Afrique et de l’Amérique latine. Nous apprécions leur désir sincère d’apporter des solutions à tous les problèmes contemporains par un travail collectif honnête visant à concilier les intérêts sur la base de l’égalité souveraine des États et de l’indivisibilité de la sécurité.
En conclusion, je voudrais m’adresser à tous les journalistes qui couvrent actuellement notre réunion. Vos collègues russes n’ont pas été autorisés à venir. L’ambassade des États-Unis à Moscou les a informés de manière moqueuse qu’elle était prête à leur remettre leurs passeports revêtus du visa alors que notre avion venait de décoller. C’est pourquoi je vous demande instamment de compenser l’absence des journalistes russes. Essayez de faire vos reportages de manière à transmettre au public mondial toute la diversité des jugements et des évaluations.
source : Ministère russe des Affaires étrangères via Le Cri des Peuples