Au Brésil, la lutte contre la propagation du coronavirus s’apparente à une lutte des classes

Plus de 13 millions de personnes habitent dans les favelas brésiliennes. Face à une épidémie, ces quartiers populaires aux ruelles exiguës, aux maisons étroites et imbriquées les unes sur les autres, parfois sans eau courante ni tout-à-l’égout, sont des bombes à retardement.

À 18 h, depuis quelques jours, la sirène retentit et fait écho sur la colline de Gloria, quartier populaire de Rio de Janeiro. « Mesure de prévention contre le coronavirus, nous demandons à la population de se protéger, d’éviter de se rassembler et de rentrer chez soi. »

Le message est clair. Mais dans la favela de Santo Amaro, les habitants n’ont pas le choix. Ils s’entassent à 16 dans des mini-vans, seul transport collectif pour rentrer chez eux.

Un potentiel « génocide » pour les favelas

Surnommé « Baiano », le président de l’association des habitants de la favela s’inquiète : « Nous avons déjà deux suspicions de coronavirus ici et on a peur, car aucune ambulance ne montera dans le cas où ils ne peuvent plus respirer ». Ce vendeur de noix de coco et caipirinhas a dû fermer sa petite baraque sur la mythique plage de Copacabana, presque déserte depuis la mise en place du décret du gouverneur de Rio, Wilson Witzel. Il ne travaille plus depuis plusieurs jours. Les yeux plissés d’inquiétude, transpirant à grosses gouttes sous la chaleur de cette fin d’été, il monte et descend les ruelles de son quartier à flan de colline pour demander aux habitants de rester chez eux.

Le derniers discours du président brésilien, retransmis à la télé mardi 24 mars, lui a donné des frissons. Contre ce qu’il compare à une « petite grippe », Jair Bolsonaro préconise un isolement vertical, des personnes à risque seulement, et laisser les commerces ouverts pour que les travailleurs brésiliens puissent continuer de gagner leur vie. « Mais qui va sortir, hein ? Qui ? Ceux qui n’ont pas le choix, nous, les pauvres ! Il va tous nous tuer, ce qu’il prépare, c’est un génocide pour les favelas, ils nous sacrifient », crie-t-il aux reporters de France 24, pour bien se faire entendre tout en maintenant 3 mètres de distance.

Travailler et mourir. Ou rester chez soit et mourir de faim… l’impossible dilemme. Baiano respecte à la lettre chaque mesure conseillée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qu’il suit sur les réseaux et les traduit en langage plus familier, plus accessible, à ses voisins qui n’ont pas Internet ou, parfois même, ne savent tout simplement pas lire.

Une armée indispensable

Mais comment obéir aux ordres quand la majorité, sans économies, sans même un simple compte en banque, a un besoin vital de travailler ?

Dans la favela de Rocinha, l’une des plus grandes d’Amérique du Sud, Erik Martins, guide interprète, reste cloîtré chez lui depuis 24 h. La fièvre vacillante, entre deux quintes de toux, il lance un SOS : « Nous sommes une armée de petits ouvriers des quartiers riches – plombiers, transporteurs, cuisinières, femmes de ménage…. La plupart ont été remerciés sans aucune indemnité et les autres… Ils prennent tous les jours des risques en sortant de chez eux et en prenant le bus. Comment va-t-on faire ? »

Des Brésiliens vulnérables, à l’image de la première morte du Covid-19 dans le pays : une domestique de 63 ans, originaire de Miguel Pereira, un quartier modeste à 125 kilomètres du quartier chic de Leblon, en bord de plage, où elle cuisinait tous les jours depuis 20 ans pour sa patronne, qui venait de revenir d’un voyage en Italie.

À Rocinha, Erik craint pour sa grand-mère, à la tête de cette famille de six personnes, toutes agglutinées dans un petit 30 mètres carrés tarabiscoté au fond d’une ruelle où l’eau courante peine à arriver.

Il ne sort pas de sa chambre. Il est presque impossible pour lui de se laver les mains. L’eau est trop rare.

« Beaucoup de personnes n’ont même pas les moyens de s’acheter du gel hydro-alcoolique ou des masques », s’inquiète Josué Rocha, coordinateur du Mouvement des travailleurs sans toits (MTST) de Sao Paulo. La brigade de Santé fondée par le mouvement fait le tour des communautés les plus fragiles pour leur fournir des paniers de produits de premières nécessités et d’hygiène. Ils espèrent ainsi atteindre plus de 50 000 familles.

Les favelas s’organisent toutes seules

Car dans ces quartiers abandonnés depuis des années par les pouvoirs publics, les services sanitaires de base (eau, tout-à-l’égout) ne sont pas souvent assurés, ce qui favorisait déjà, avant même la pandémie de coronavirus, l’arrivée de nombreuses maladies : pneumonies, dengue, zika….

Les responsables des associations souhaiteraient que l’État fasse des favelas une priorité, en leur donnant des moyens et, en attendant, des conseils adaptés à leur situation.

Mardi, une réunion s’est tenue entre 40 leaders de communautés et le secrétaire à la Santé de l’État de Rio de Janeiro, Edmar Santos. Ce dernier a annoncé la possible réquisition d’hôtels du centre-ville, ainsi que des navires de la marine, pour y placer en quarantaine les personnes âgées et les plus fragiles issus de ces quartiers pauvres. Mais fait étrange, aucun des responsables contactés n’en a entendu parlé, ou n’a été convié.

Le gouvernement de Jair Bolsonaro a annoncé la création d’un plan d’urgence, de 200 reais mensuel par travailleur informel, environ 30 euros. Pas de quoi tenir une quarantaine prolongée à six dans une pièce….

En attendant, les communautés s’organisent toutes seules, elles en ont l’habitude. Certaines factions du crime organisé, comme le Comando Vermelho, commencent à contrôler les entrées et les sorties des collines. Et des groupes WhatsApp ont vu le jour pour faire passer le message en cas de nouvelle livraison de gel hydroalcoolique dans les pharmacies. Un groupe d’employées domestiques s’échangent ainsi des conseils pour continuer à travailler en toute sécurité tandis que dans la favela du Complexo alemao, le collectif Papo Reto utilise le funk pour sensibiliser les habitants.

L’ONG Redes da Maré – Somos todos a maré (Réseau Maré, nous sommes tous de Maré) donne régulièrement des conseils d’hygiènes sur ses réseaux. De son côté, le collectif Marginal Favela Rio tente d’agir sur le terrain, avec des moyens très limités. « On manque de gants, on manque de masques. Nous même, les bénévoles des associations qui distribuions les kits de survies on n’en trouve nulle part, et on n’est pas protégés’, assure Jota Marques, un des responsables de ce collectif. « Alors quand le ministre de la santé dit que nos actions communautaires sont primordiales et nous demande d’identifier les personnes infectées et de les isoler…. Mais comment on peut faire ça si on n’a aucune préparation, aucun protection et aucun matériel ! »

AFP

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