Dossier des Bérets rouges: la fin du feuilleton judiciaire
Comme annoncé le jeudi 11 mars dernier, le verdit dans le procès de Amadou Aya SANOGO et co-accusés dans l’affaire des Bérets rouges assassinés en 2012 a été rendu hier. La Cour a retenu les exceptions et observations de la défense éteignant ainsi définitivement l’action publique.
Les éléments déterminants
Le du jeudi dernier, Me Cheick Oumar KONARE, avocat de la défense, expliquait: « les parties civiles ont, à travers leurs avocats, déposé dans le dossier un document portant protocole d’accord signé entre elles et le gouvernement du Mali. Au terme de ce protocole d’accord, les parties civiles ont reçu une indemnisation financière. Et en vertu de ce protocole d’accord, elles se sont désistées de leur constitution de partie civile dans le dossier. Ce qui signifie qu’elle (la partie civile) ne demande plus rien. Et si les parties civiles ne demandent plus rien, cela allège la charge passionnelle, voire juridique du dossier. C’est ainsi que le Procureur général, suivant en cela les avocats de la défense, a décidé de recueillir l’abandon de toutes les poursuites contre les accusés sur le fondement de la Loi d’Entente nationale. Il s’agit d’une Loi qui prévoit l’extinction de toutes les poursuites pour toutes les personnes qui répondent à un certain nombre de critères. Et ces critères, nos clients, pardon, y répondent. Que ce soit des crimes ou des délits, pourvu que ces crimes et ces délits aient été commis, dans le cadre des événements de 2012. L’Audience est suspendue. L’Affaire est mise en délibéré pour le 15 mars prochain, la Cour viendra nous dire si elle accepte l’application de cette Loi.
Je vous rappelle que l’Indemnisation qui a été accordée par l’État aux parties civiles vise expressément cette Loi d’Entente nationale. Donc, il n’y a aucune raison qu’elle ne s’applique pas aux accusés. Le Ministère public, je vous le rappelle, a requis lui aussi l’application de la Loi d’Entente nationale ».
S’agissant de la Loi d’Entente nationale, Me Tièssolo KONARE, également avocat de la défense a expliqué: « conformément aux dispositions des articles 3, 18 et 24 de la Loi d’Entente nationale intervenue en 2019, l’article 3 dit que les faits de 2012 liés à la crise de Bamako sont amnistiés (effacés) comme si ces faits n’avaient pas existé. Ensuite, l’article 18 dit : si les prévenus ou les accusés sont renvoyés devant une Chambre de jugement, il appartient au Parquet général d’organiser une assise au cours de laquelle la Cour va constater l’extinction de l’action publique. C’est pour cette raison que les avocats ont posé cette exception, et ils ont été soutenus par le Parquet général. On attend la suite. Que les juges décident le lundi 15 mars prochain. Si je n’étais pas optimiste, je ne serais pas avocat. L’avocat, c’est l’optimisme. Quelle que soit la gravité des faits, l’avocat se bat et il gagne comme il peut perdre. Me Vergès a toujours défendu les causes perdues, mais aucun des clients de Vergès n’a été exécuté ».
Les rivalités de corps
Pour rappel, le 30 avril 2012, plus d’un mois après le coup d’État militaire de 2012 au Mali initié par le capitaine Amadou Haya SANOGO, des soldats du 33e régiment des commandos parachutistes (RCP), surnommés les « bérets rouges », favorables à l’ancien président Amadou Toumani TOURE, tentent un contre-coup d’État.
La raison ayant motivé cette tentative serait due à une rivalité avec les anciens putschistes de SANOGO, dit les « Bérets verts ». Les troupes d’élite du 33e RCP faisaient partie de la garde présidentielle de Amadou Toumani TOURE, lequel était un ancien membre de ce corps.
Après le coup d’Etat, les 4 BRDM-2 du régiment à Djicoroni sont confisqués. À la suite de la chute de Gao, le régiment qui combattait au nord se replie sur Bamako, mais à son arrivée dans la capitale malienne, ses soldats sont désarmés, contrairement à ceux des autres corps.
Selon une source diplomatique, « les Bérets rouges chargés de la protection de la présidence n’avaient plus le droit de porter une arme, y compris la sentinelle du palais présidentiel. Certains Bérets verts demandaient même aux Bérets rouges d’enlever leur béret à certains check points. Ce sont toutes ces brimades, sur fond de rivalité entre les deux corps, qui ont poussé les Bérets rouges à tenter un contre-coup le 30 avril dernier. »
Selon une source sécuritaire à Bamako, « la tension est montée d’un cran la semaine précédant le contre-coup d’État lorsque le capitaine Amadou Haya SANOGO a convoqué à son QG du camp militaire Soundiata KEITA de Kati le chef d’état-major du RCP, le colonel Abidine GUINDO, qui est aussi l’ancien aide de camp d’ATT. »
Le colonel décline l’invitation, mais par la suite, la rumeur se répand que les Bérets verts de Kati ont l’intention de faire une descente punitive contre GUINDO pour avoir tenu tête à SANOGO. Aussi le 30 avril, vers 14 heures, toutes les unités spéciales du RCP sont convoquées au camp de Djicoroni, base des Bérets rouges.
Le 30 avril, les parachutistes « Bérets rouges » attaquent le bâtiment de la radio et de la télévision publiques (ORTM), l’aéroport de Bamako, ainsi que le camp militaire de Kati. Le capitaine Alou ONGOIBA dirige l’assaut de l’aéroport, le capitaine Békaye Bafa SAMAKE celui de l’ORTM et le capitaine El Hadj Sékou DIAKITE celui du camp de Kati. L’opération est coordonnée par le colonel Abidine GUINDO et son adjoint le colonel Louis SOMBORO.
Selon le récit de deux soldats Bérets rouges, leur groupe constitué de 13 hommes avec deux pick-up s’empare de l’aéroport, six Bérets verts du CNRDRE y sont tués contre un mort chez les assaillants, le chauffeur d’un des véhicules. Mais les Bérets verts contre-attaquent avec une quinzaine de pick-ups et une dizaine de blindés BRDM-2. Les commandos parachutistes abandonnent le combat.
L’offensive est un échec. Le 1er mai, les Bérets verts attaquent à leur tour et prennent le camp de Djicoroni, base du régiment des parachutistes. Les Bérets rouges prennent la fuite avec femmes et enfants, certains se replient vers le camp d’entraînement de Samanko, à l’ouest de Bamako.
Les disparitions
forcées
Selon les sources, les affrontements auraient fait 11 à 14 morts et 40 blessés. Selon Abdoulaye Nènè COULIBALY, directeur général de l’hôpital Gabriel TOURE, les combats ont fait 14 morts et 40 blessés dans les deux camps. Des sources militaires évoquent jusqu’à 30 morts, dont 6 à 11 à l’ORTM et au moins quatre au camp de Djicoroni.
Après le 30 avril, au moins 80 personnes, majoritairement des parachutistes, sont arrêtées. Le 24 juin, à la suite de pressions exercées par les familles des détenus et leurs avocats, par des organisations locales et internationales de défense des droits humains, dont Amnesty International, et par le ministre malien de la Justice, 43 détenus sont transférés au camp 1 de la Gendarmerie, où leurs conditions de détention s’améliorent.
En juillet 2012, selon Human Rights Watch, au moins 20 soldats prisonniers ont disparu et des dizaines d’autres ont été torturés par les « Bérets verts ». L’association accuse également les forces de sécurité du Capitaine SANOGO, de s’être livrées à une campagne d’intimidation contre des journalistes, des proches de soldats et d’autres personnes. Elle appelle alors les autorités maliennes à ouvrir une enquête.
Le 18 janvier, le juge d’instruction chargé du dossier ordonne la remise en liberté de 29 prisonniers, dont 26 « Bérets rouges » parachutistes et 3 civils, parmi lesquels Malamine KONARE, fils de l’ancien Président Alpha Oumar KONARE. Le 30 janvier 2013, les 29 prisonniers sont libérés.
Le 4 décembre 2013, un charnier contenant les corps des 21 Bérets rouges disparus est découvert à Diago, près de Kati. Les cadavres, retrouvés les yeux bandés, les mains menottées et les pieds enchaînés, sont identifiés en juillet 2014 par des tests ADN.
Le 18 décembre, quatre autres corps sont exhumés d’un charnier dans le cimetière du quartier Hamdallaye de Bamako. Il contenait les corps de trois militaires et d’une vendeuse de jus gingembre, tués lors des combats devant l’ORTM.
Le 23 février, cinq autres corps sont exhumés de deux fosses communes à Kati, ils étaient vêtus d’uniformes militaires et leurs mains étaient liées. Dans l’une des fosses, des têtes de crocodiles sont également retrouvées.
Le 30 novembre 2016 s’ouvre à Sikasso un procès où SANOGO comparaît avec 17 autres prévenus, inculpés pour l’exécution d’au moins 26 Bérets rouges capturés après l’échec de leur tentative de contre coup d’État. Hier a pris fin un feuilleton judiciaire qui aura tenu en haleine, des années durant, l’ensemble de la communauté nationale et internationale.
PAR BERTIN DAKOUO
Info-Matin