Aliou Diallo propose de sortir des positions radicales pour préserver l’essentiel
Après des années passées à se défier et à se bouder, les acteurs politiques maliens vont-ils enfin s’entendre pour faire avancer le pays ? Récemment, le président Ibrahim Boubacar Keita a dit appeler à nouveau ses détracteurs à l’union nationale, alors que son pouvoir est vigoureusement contesté ces derniers jours. Une annonce qui fait écho à la ligne politique défendue depuis de nombreuses années par Aliou Boubacar Diallo, le président d’honneur d’ADP-Maliba.
Le vendredi 5 juin, une coalition formée de plusieurs partis et mouvements avec à leur tête l’imam Mahmoud Dicko, a organisé une importante manifestation à Bamako pour demander la démission du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Elle a également exigé la dissolution des institutions de la République, notamment la nouvelle Assemblée nationale. Au bout de quelques jours, IBK s’est adressé à la nation pour tenter d’apaiser les tensions. « J’ai suivi avec attention les récents évènements qui se sont déroulés dans notre pays. J’ai entendu les colères et les cris, j’ai entendu les revendications et les interpellations », a-t-il débuté son allocution.
Tout en soulignant que rien ne saurait être mis au-dessus du Mali, IBK a appelé à « tirer toutes les leçons des crispations » que vit son pays et à « se serrer les coudes » pour s’en sortir. « C’est pourquoi j’invite au dialogue », a-t-il lancé en direction des contestataires. Il ponctue son discours par cette phrase pleine d’espoir : « Ma porte est donc ouverte et ma main toujours tendue ». Dans la foulée, le Mouvement du 5 juin, fer de lance de la contestation, est montée au créneau, rejetant cette ouverture et réaffirmant son « exigence de la démission du Président et de son régime ». Un radicalisme qui tranche avec la position bien plus mesurée du parrain des contestataires, l’Imam Mahmoud Dicko. Ce dernier avait refusé que les contestataires prennent d’assaut le palais présidentiel lors du dernier rassemblement du 19 Juin 2020.
Aliou Boubacar Diallo, chantre du dialogue et de l’union
La mesure et l’équilibre caractérisent aussi la position de l’Honorable Aliou Boubacar Diallo pour lequel les postures radicales n’apporteront rien de positif au pays. Une position qui a du mal à se faire entendre tant les positions sont devenues tranchées et électrisées par certains acteurs politiques.
Dans une longue intervention à la tribune de l’Assemblée Nationale, Aliou Diallo, devenu récemment député de Kayes, appelle les contestataires à ne pas tomber dans le piège du vide institutionnel. « Il est l’un des rares qui gardent leur lucidité malgré l’ampleur des tensions », confie un analyste politique malien. « Cela a certainement un lien avec le fait qu’il n’a aucun intérêt particulier dans la politique, il n’en vit pas », renchérit Moussa Doumbia, juriste. Selon le député de Kayes, le pays a déjà trop souffert de sa crise multidimensionnelle pour prolonger son calvaire par un vide constitutionnel. C’est ce qui a motivé la participation de son parti, l’ADP-Maliba au dialogue national inclusif (DNI).
Pour le troisième de l’élection présidentielle de 2018, le DNI a permis d’ausculter le Mali pour faire un bilan de ses problèmes. « Sur ce plan il a raison » indique le Dr Amadou Traoré, de la FSJP, ajoutant qu’en réalité « la colère actuelle n’est que le résultat de la lenteur dans la mise en œuvre des recommandations du DNI ». En effet, à l’issue des travaux, une feuille de route a été dégagée comprenant cent-vingt (120) recommandations mais seules cinq (05) d’entre elles ont été mises en œuvre et le Comité de Suivi annoncé n’a toujours pas pris fonction. Un manque de bonne volonté pour les uns, une lenteur liée au contexte pour les autres.
Dans les faits, parmi les recommandations du DNI mises en œuvre, on compte des actes majeurs comme l’organisation des élections législatives avant mai 2020 et le retour progressif de l’administration dans le Nord. Sur ces points, Bamako a tenu sa promesse, malgré le contexte sanitaire et l’insécurité. Mais dès le 30 Avril, la fête a été gâchée par l’annonce des résultats définitifs du scrutin. « La Cour Constitutionnelle a procédé à des manœuvres qui ont scandalisé tout le monde, majorité et opposition confondue », rappelle le Docteur Traoré. Au point qu’une partie de ces maliens, regroupés autour de l’Imam Mahmoud Dicko, réclament non seulement la démission du Président malien mais aussi celle de toutes les institutions.
Mais pour Aliou Diallo, il ne faut pas aller aux extrêmes. Au lieu de pousser à la dissolution de toutes les institutions, pour lui, la crise actuelle prouve plutôt qu’il faut accélérer la mise en œuvre des recommandations du Dialogue National. « On ne peut pas prendre le risque de tout renverser car personne ne souhaite revivre un épisode qui serait bien plus sanglant que les évènements de 2012 », insiste l’un de ses proches.
Dans sa mesure et son équilibre, Aliou Diallo est pourtant catégorique sur quelques points : la démission de la Présidente de la Cour Constitutionnelle n’est pas négociable. Ses actes répétitifs en lors des législatives de 2013 et 2020 ainsi qu’à la présidentielle de 2018 ont fini de discrédité la magistrate et l’institution qu’elle incarne. Sa démission est une obligation légale et morale. Aliou Diallo l’a ouvertement réclamée.
Il estime également qu’il ne faut pas dissoudre l’Assemblée Nationale mais privilégier l’organisation de partielles dans les circonscriptions contestées. En prononçant la dissolution de l’Assemblée, Aliou Diallo estime non seulement qu’il n’y a aucune garantie qu’un nouveau scrutin général pourra être organisé mais qu’en plus cela risque de généraliser la crise en frappant tous les élus (et leurs électeurs) avec le même bâton.
Un gouvernement de consensus annoncé
Pour accélérer la stabilisation du pays, mis à part Aliou Diallo, la majorité présidentielle et la CEDEAO appellent également de plus en plus à la formation en urgence d’un nouveau gouvernement de large ouverture. Depuis deux semaines, l’état n’a plus de gouvernement.. Le Premier ministre Boubou Cissé, reconduit dans ses fonctions par IBK, devrait constituer cette nouvelle équipe qui doit se composer de toutes les forces vives et compétences de la nation malienne avec un seul objectif : répondre très vite aux aspirations des maliens.
Pour tous les observateurs, ce gouvernement permettrait de veiller à la mise en œuvre des recommandations du DNI. Cela à la seule condition qu’il soit formé sur les bases suivantes : intégrité, représentativité, transparence, travail et union.
Jean-Paul Castolin
Source: La Gazette du Mali