Processus de stabilisation du nord du Mali: La nécessaire implication des chefs traditionnels et religieux
La crise sécuritaire actuelle que traverse notre pays n’est pas celle d’un « Nord homogène », en rébellion unanime contre un « Sud tyrannique ». Les sociétés du Nord sont traversées par une série de clivages et de rivalités d’ordre politico-affairistes. La question du partage des responsabilités politiques entre dirigeants qui se posent en représentants des grandes communautés du Nord constitue une question épineuse. Le traitement problématique de cette question a généré bien des violences dans le passé et continuera à faire des victimes et des déplacés dans les années à venir.
Malheureusement, il existe dans ce pays, depuis la chute du régime socialiste du président Modibo Keïta en novembre 1968, une vieille tradition politique qui vise à gérer les problèmes posés par la gestion de la crise du Nord (irrédentisme, violences liées aux trafics, etc.) par la cooptation de ses élites politico-militaires- affairistes. Cette politique a souvent permis de ramener une stabilité de court terme mais jamais sur une base durable. Au Nord, les rivalités entre élites et leur contestation par de nouvelles générations ou segments communautaires rendent les politiques d’assimilation réciproque des élites assez incertaines dans le long terme. Pour preuves, de janvier 1991 à nos jours, aucun accord de paix signé avec l’élite politico-affairiste n’a pu apporter la sécurité et la stabilité aux populations locales abandonnées à elles-mêmes. Nous pouvons citer entre autres: les Accords de Tamanrasset du 6 janvier 1991; le Pacte national du 11 avril 1992; l’Accord pour la restauration de la sécurité, de la paix et du développement dans la région de Kidal signé à Alger le 4 juillet 2006; l’AP0 du 18 juin 2013 signé à Ouagadougou; l’APR d’Alger signé le 15 mai et 20 juin 2015 à Bamako.
En réalité, les rébellions dites touarègues sont le fait de cette élite politico-militaire ultra-minoritaire parfois lettrée, sans légitimité élective: ses chefs qui se sont imposés lors des révoltes des années 1990 n’ont jamais été mandatés par les populations dont ils s’autoproclament porte-parole, alors que la majorité des Touaregs ne cautionne ni n’approuve leurs revendications et la lutte armée. Ces populations, qui cohabitent pacifiquement depuis très longtemps avec les autres groupes communautaires (Songhaï, Peul, Bozo, Dogon, Maures et Arabes), sont les premières victimes de leurs agissements, étant condamnées à subir les évènements et leur cortège de conséquences (exil et misère). De plus, elles ne sont jamais consultées dans les négociations de paix qui se sont toujours déroulées entre chefs rebelles et représentants du pouvoir central, alors que les légitimités traditionnelles (chefs de villages et de tribus), les élus nationaux et locaux ainsi que divers représentants des populations auraient dû y être associés. Nous avons toujours critiqué ce dialogue unilatéral avec les seuls responsables rebelles, qui ne tient pas compte des autres communautés régionales ni de la majorité des Touaregs, hostiles à leur projet indépendantiste.
Le Pacte de Bourem a été signé en 1995 par des représentants des populations sédentaires et nomades des régions de Gao et de Kidal. Il visait à mettre un terme aux violences intercommunautaires qui avaient repris dans notre pays malgré la signature du pacte national en 1992. Fruit d’initiatives locales, il a constitué la matrice pour d’autres rencontres similaires ayant permis de relancer le processus de réconciliation au nord du Mali dans la seconde moitié des années 1990.
Les rencontres d’Anefis de 2015 s’inspirent en partie de celles de Bourem, mais elles n’ont pas inclue les populations sédentaires aussi étroitement. Par ailleurs, les responsables politico-militaires et affairistes ont joué à Anefis un rôle plus central que les notables et chefs traditionnels.
Sambou Sissoko
Le Démocrate