Terrorisme en Afrique: «La solidarité est aujourd’hui le maître mot»

La menace jihadiste se répand désormais jusqu’en Afrique australe, en Tanzanie ou encore au Mozambique. Face à ce défi, l’Union africaine (UA) va organiser un sommet extraordinaire. « Ce sera en mai en Afrique du Sud », annonce Smaïl Chergui, le commissaire Paix et Sécurité de l’UA, au micro de RFI.

RFI : Il y a dix ans, vous aviez dit : « 2020 sera l’année où l’on fera taire les armes ». Et malheureusement, les conflits continuent. L’objectif n’est pas atteint…

Smaïl Chergui : Effectivement, on serait tenté d’être d’accord avec vous. Et il faut d’abord dire que « faire taire les armes » est un appel pour la mobilisation de tous. Il est vrai que loin d’être modeste, beaucoup a été réalisé dans le continent. Mais aujourd’hui, nous faisons face à de nouvelles menaces. Heureusement que les guerres entre États sont derrière nous. Maintenant, ce sont des guerres asymétriques. Nous avons à faire surtout à ce phénomène de terrorisme qui malheureusement s’élargit, améliore ses techniques. Et il faut le dire, les terroristes sont en avance sur les États-membres parce qu’ils ont globalisé leurs moyens et leur modus operandi. Durant ce sommet, il s’agira que nos chefs d’État décident de réellement s’attaquer à toutes les causes, d’abord de ces conflits, s’interroger sur le pourquoi de l’extension de certains conflits.

Est-ce que réellement, nous avons promu cette gouvernance politique et économique qui puisse nous permettre d’éviter de nouvelles crises ou l’aggravation de certaines ? Après ce sommet, nous allons avoir deux réunions régionales : une en Guinée équatoriale et une autre au Kenya. L’offre du Kenya, c’est d’abriter une réunion pour permettre aux responsables de la sécurité et de l’armée, aussi, de nous donner leurs perspectives. À ce moment-là, nous irons à un sommet extraordinaire en mai prochain en Afrique du Sud, pour réellement à ce moment-là disséquer et zoomer sur chaque région, et voir comment nous pouvons avancer sur la question d’abord de la prévention, qui est essentielle. Ensuite, comment nous pouvons renforcer les capacités de nos États-membres. Troisièmement, le lien entre paix, sécurité et développement, les questions de gouvernance, surtout politique. Donc, c’est là, je crois, l’appel qui a été fait ce matin par notre président. Il l’avait déjà fait il y a quelques semaines. La question de solidarité est aujourd’hui un maître-mot en la matière.

Vous lancez un appel à la mobilisation des États africains, la « solidarité » comme a dit Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine. Cela veut dire que les États actuels ne sont pas assez solidaires avec les pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad), par exemple, qui sont confrontés à la menace jihadiste que l’on connaît. Cela veut dire qu’à part le Rwanda qui a donné un million de dollars à ces pays, les États ne sont pas assez généreux ?

Il me semble qu’il y a beaucoup d’actes de soutien et de solidarité entre pays africains. Beaucoup ne le disent pas. Je peux vous citer l’exemple de l’Algérie qui a contribué pour plus de 100 millions de dollars en équipements, en formation. Mais dans sa tradition, l’Algérie ne l’annonce pas. Vous pouvez aussi trouver des pays comme le Nigeria qui actuellement soutient la Force multinationale mixte dans son ensemble. C’est lui qui paie pour le Niger, pour le Tchad, dans leur engagement contre Boko Haram. Ici, en Afrique de l’Est, vous voyez aussi les sacrifices que font les pays engagés dans l’Amisom [mission de l’Union africaine en Somalie]. Au moment où je vous parle, l’Éthiopie a plus de 22 000 hommes qui ne sont pas payés par l’Amisom, qui sont pris sur son propre budget. La même chose pour l’Ouganda, la même chose pour le Kenya. Donc, ce sont des gestes de solidarité assez explicites, assez importants. Donc, ce qu’il faut actuellement, c’est voir comment nous pouvons faire mieux.

La Cédéao [Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest] nous avait donné la piste quand ils ont tenu leur sommet à Ouagadougou, en septembre 2019. Donc, ils ont décidé de mettre sur la table un milliard de dollars pour soutenir les forces de défense et de sécurité de ces pays. Ce n’est pas que l’Afrique manque de moyens. Il s’agit seulement de s’organiser différemment. Et je crois que le soutien peut être multiforme. Il y a aussi nécessité d’utiliser tous les moyens à notre disposition. Nous avons le G5 Sahel, nous avons nos partenaires comme Barkhane [opération militaire au Sahel et au Sahara par l’armée française], mais nous avons aussi le processus de Nouakchott qui permettait aux 11 pays sahéliens d’échanger les informations sécuritaires, de coopérer entre eux parce que la situation, si on reste au Sahel, s’aggrave. Elle s’étend. C’est une lutte existentielle aujourd’hui pour notre continent. Mais malheureusement, nous voyons aussi que cette menace s’étend même à l’Afrique australe puisqu’aujourd’hui le Mozambique et la Tanzanie vivent aussi ces mêmes défis.

Donc, c’est le sens qu’il faut donner à la solidarité, qu’il y ait une coordination totale avec nos partenaires, donc nous apprécions leur concours, pour arrêter la radicalisation et pour promouvoir le développement du continent et partant de sa stabilité.

Et ce sera l’enjeu du sommet extraordinaire du mois de mai prochain en Afrique du Sud ?

Ce sera l’enjeu parce que nous ferons une radioscopie de tous les conflits, région par région, et nous sortirons avec des recommandations précises tournées vers l’action, vers des réponses immédiates à un défi immédiat.

Il y a neuf ans, éclatait l’insurrection contre le colonel Mouammar Kadhafi. Voilà neuf ans que l’Afrique est spectatrice. Est-ce qu’aujourd’hui enfin, l’Afrique devient un acteur pour une solution en Libye ?

Aujourd’hui, après la conférence de Berlin, j’ai un rôle qui est reconnu à l’Union africaine, c’était d’organiser cette conférence de réconciliation entre les Libyens. Entretemps, nous allons travailler avec les Nations unies, et dès que le cessez-le-feu est consacré officiellement entre les deux parties, nous nous proposons également d’être partie prenante à l’effort de surveillance de ce cessez-le-feu sur le terrain. Nous y travaillons actuellement. Je participerai à la réunion ministérielle du 16 prochain, de suivi de la réunion de Berlin. On vient d’avoir un sommet du comité de haut-niveau à Brazzaville avec des décisions claires : nous allons ici même lors du Conseil de paix et sécurité essayer de dynamiser cette structure au plus haut niveau. Comment la rendre plus proactive : nous avons des idées. Ensuite, nous avons eu à Alger une réunion des pays voisins, le 23 janvier. Toutes ces initiatives sont les bienvenues.

Et l’on remarque que votre pays, l’Algérie, est de plus en plus proactif dans ce dossier puisque le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé une prochaine réunion de réconciliation nationale entre Libyens sur la terre algérienne. Est-ce à dire que l’Algérie aujourd’hui s’implique beaucoup plus dans ce conflit ?

Je serais peut-être mal placé de parler au nom de l’Algérie. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ces offres sont les bienvenues. Le fait que le président Abdelmadjid Tebboune ait déclaré, dès son élection, qu’il donnerait une priorité absolue à la situation au Sahel et en Libye, dans tous les cas, nous encourage. Le fait que l’Algérie soit un pays voisin, qu’elle bénéficie de la confiance de toutes les parties. Hier, le ministre des Affaires étrangères était parti voir le maréchal Haftar [l’homme fort de l’est libyen]. Donc, je crois que ces contacts ne pourront que consolider l’effort que nous faisons pour arriver à réconcilier les Libyens, pour qu’il y ait d’abord un cessez-le-feu réel, que l’embargo soit respecté dans la question libyenne.

Lors du Conseil exécutif de ce jeudi 6 février, le président Moussa Faki Mahamat s’est inquiété du climat très lourd que s’instaure dans certains pays à cause des contestations pré-électorales et post-électorales. Est-ce que vous pensez notamment à la Guinée où les gens doivent voter le 1er mars prochain ?

Oui. Effectivement, on ne peut pas ne pas penser à la Guinée. Et aussi, on pense à des pays qui ont fait dernièrement des élections, mais auxquels l’opposition n’a pas pris part du tout, comme les Comores. Donc, il y a un certain nombre d’élections qui vont venir et il est important que l’on puisse agir en amont, dans la préparation de ces élections pour que toutes les parties soient incluses ou incorporées à ce processus préparatoire et qu’on cesse de mettre des a priori avant même que l’élection n’intervienne. C’est devenu un sport africain : chaque fois qu’il y a une élection, on commence d’abord par douter du processus électoral.

Mais en Guinée, par exemple, l’opposition ne veut pas aller aux élections législatives du 1er mars parce qu’elles sont couplées à un référendum constitutionnel dont elle ne veut pas, à quelques mois de la présidentielle. Comment rétablir le dialogue entre le pouvoir et l’opposition ?

Nous avons des contacts, nous parlons à tout le monde au même titre que les Nations unies, que la Cédéao. Et je pense et j’espère qu’au final, on trouvera une solution et qu’on évitera à la Guinée vraiment une épreuve supplémentaire.

Un changement de Constitution sept mois avant la présidentielle, qu’est-ce que vous en pensez concernant justement la Guinée ?

Moi, je ne peux pas parler pour les Guinéens. Vous avez entendu comme moi, l’opposition qui s’interroge sur le timing. En définitive, c’est au peuple guinéen de s’exprimer librement sur cette proposition, et puis nous aviserons.

RFI

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