Quand les USA s’invitent dans la stratégie «de double encerclement» entre l’Inde et la Chine

Confrontés à la montée en puissance de la Chine, les États-Unis resserrent les liens avec leurs partenaires en Asie. C’est notamment le cas de l’Inde, où le Secrétaire américain à la Défense s’est rendu les 19 et 20 mars, confirmant un rapprochement militaire bilatéral depuis plusieurs années, constate le journaliste Olivier Da-Lage.

L’ambiance à New Delhi était plus chaleureuse en cette fin de semaine que la réunion glaciale en Alaska le 19 mars entre diplomates chinois et américains.

Les États-Unis et l’Inde sont sur «la même longueur d’onde» dans la région indopacifique pour «défendre des objectifs communs», s’est réjoui Lloyd Austin, secrétaire américain à la Défense, présent à New Delhi les 19 et 20 mars afin de renforcer la coopération militaire bilatérale face à la Chine. De son côté, Narendra Modi, Premier ministre indien, a tweeté que «l’Inde et les États-Unis sont engagés dans un partenariat stratégique qui est une force pour le bien de la planète.»

«D’une part, les États-Unis, d’autre part l’Inde, se cherchent des partenaires pour se renforcer vis-à-vis de la Chine», observe Olivier Da-Lage, journaliste de RFI, spécialiste de l’Inde, auteur de L’Inde, désir de puissance (Éd. Armand Colin).

USS Carl Vinson
© AP PHOTO / U.S. NAVY/MASS COMMUNICATION SPECIALIST 2ND CLASS Z.A. LANDERS

Après le sommet en visioconférence du Quad (Quadrilateral Security Dialogue) réunissant le 12 mars l’Inde, le Japon, l’Australie et les États-Unis, cette visite américaine constituait donc la première rencontre physique entre l’Administration Biden et le gouvernement indien. Une fois n’est pas coutume, elle ne s’inscrivait pas en rupture avec la politique de son prédécesseur: le 27 octobre dernier, le ministre américain de la Défense Mark Esper, en compagnie du secrétaire d’État Mike Pompeo, s’étaient déjà rendus déjà dans la capitale indienne pour y signer un accord sur le partage de renseignements (BECA, Basic Exchange and Cooperation Agreement) dans le but de «contrer les menaces pour la sécurité et la liberté posées par le Parti communiste chinois.» Cette fois, pas d’annonces martiales, ni de Chine explicitement pointée du doigt lors de cette tournée dans l’Indopacifique, mais une nette convergence des intérêts américano-indiens, perpétuant les efforts de Donald Trump.

Le rapprochement américano-indien en marche

Un rapprochement qui remonte à plusieurs Administrations américaines: rappelons la doctrine du Pivot asiatique de Barack Obama en 2011. «L’Administration Biden n’allait pas changer sur ce point-là» face un phénomène grandissant, «la montée en puissance de la Chine», qui poursuit une politique beaucoup plus affirmée que par le passé, souligne Olivier Da-Lage. Ce qui «inquiète ses voisins directs», au premier rang desquels l’Inde. Washington et New Delhi partagent donc un même concurrent, Pékin. Selon le journaliste, «on ne peut pas parler d’une alliance», parce que l’Inde «refuse encore le principe des alliances, mais on s’en rapproche beaucoup», notamment dans le cadre du Quad. Illustrant sa démonstration par le jeu de go, Olivier Da-Lage évoque une stratégie réciproque d’endiguement entre Pékin et New Delhi:

«Si vous vous placez du point de vue de la Chine, il y a effectivement les manœuvres diplomatiques et militaires de nombreux voisins proches ou éloignés, le Japon, l’Australie, les Philippines, l’Inde, etc.»

Pour New Delhi, la perception de la menace est totalement symétrique:

«Si vous regardez les choses du point de vue indien, vous avez les Colliers de perles, c’est-à-dire tous les efforts couronnés de succès –jusqu’à un certain point– de la Chine d’avoir des bases, sinon des facilités navales, dans tous les pays voisins qui entourent l’Inde, le Sri Lanka, le Bangladesh, le Pakistan, sans parler de l’ouverture d’une base à Djibouti. Il y a donc une opération de double encerclement, donc aucune des deux grandes puissances ne peut dire qu’elle l’emporte.»

Depuis mai 2020, les forces armées indiennes ont d’ailleurs maille à partir avec l’armée populaire de libération dans l’Himalaya, où la frontière qui date de la colonisation britannique «n’est pas démarquée et acceptée bilatéralement». En juin, un accrochage à 4.000 mètres d’altitude a fait 20 morts côté indien.

Une armée indienne obsolète

Pourtant l’Inde n’est pas de taille à lutter face à la Chine, dont le budget militaire, le deuxième du monde après celui des États-Unis, était de 261 milliards de dollars en 2019 contre «seulement» 71,1 milliards de dollars pour l’Inde.

«L’armée indienne n’est probablement pas adaptée aux types de conflits qui pourraient se produire avec la Chine. Pour l’instant, il n’y a eu que des escarmouches et des pressions, mais si c’était un conflit ouvert, il est probable que l’Inde serait en infériorité. Le traumatisme de la guerre de 1962 est toujours présent.

C’est pourquoi l’Inde renforce ses moyens, notamment par l’achat de matériel militaire à différents pays. Les Rafale s’inscrivent dans ce cadre-là, mais bien entendu, la Chine investit beaucoup plus que l’Inde dans la modernisation de son armée. Donc pour l’instant, s’il y avait un conflit ouvert, il y a fort à parier que l’Inde serait en état d’infériorité», considère le rédacteur en chef de RFI.

Un constat que dresse également le général (2S) Alain Lamballe, spécialiste de l’Asie du Sud, pour la lettre d’information stratégique Asie 21, qui estimait dans les colonnes de Sputnik que l’armée indienne était «incapable de mener un combat de forte intensité contre les Chinois.»

Et Olivier Da-Lage de préciser les raisons de cette infériorité «dans tous les secteurs» des forces armées indiennes face à l’Armée Populaire de Libération (APL). C’est d’abord l’aviation qui est «assez obsolète» et peu fiable, les avions de chasse produits localement comme les Tejas ayant «connu un certain nombre d’accidents». Quatre-vingt-trois de ces avions légers ont été commandés par New Delhi en janvier. Pourtant ceux-ci ne peuvent «pas toujours suffire à faire face aux défis» imposés par l’Empire du Milieu, ce qui explique sa volonté de moderniser sa flotte aérienne avec l’achat de trente-six Rafale à la France, ainsi que d’appareils russes.

Armements indiens: diversification tous azimuts

«Les Américains n’ont pas renoncé à placer les leurs», ajoute le journaliste, évoquant les F-18. «Très importante numériquement» avec le deuxième effectif le plus important au monde derrière l’APL, l’armée de Terre indienne est organisée «comme elle l’était dans la foulée de l’indépendance.» Or, la menace ne correspond pas «nécessairement aux endroits où sont cantonnées les garnisons.» D’ailleurs, Olivier Da-Lage souligne ici une problématique qui est l’unification: «cette armée avait son indépendance stratégique et sa propre doctrine.» Pour la première fois en 2019, New Delhi a créé un chef d’état-major interarmées, alors qu’auparavant, il s’agissait seulement «d’un poste honorifique attribué au plus gradé et au plus ancien.» Depuis les années 2000, la marine indienne met également «les bouchées doubles pour rattraper son retard», notamment face à la flotte chinoise, la première au monde avec 350 navires militaires, contre 293 pour l’US Navy.

Selon les chiffres des Échos, les ventes d’armes américaines à l’Inde sont passées en 2008 d’un milliard de dollars à 19 milliards en 2019. Pourtant un point de dissension pourrait s’élever entre Washington et New Delhi, favorable à la diversification de ses achats en matière d’armements. Ce sont les fameux systèmes russes de défense antimissile S-400 que l’Inde pourrait toucher cette année, suite à l’accord conclu entre Narendra Modi et Vladimir Poutine en 2018 pour un montant de 5,4 milliards de dollars. Depuis la guerre froide, l’Inde non alignée s’est traditionnellement approvisionnée auprès de l’URSS, puis de la Russie, tout en «augmentant la part de la France», également un ancien fournisseur, et enfin en «ouvrant ses commandes aux États-Unis et à Israël.»Si Moscou demeure un «fournisseur essentiel», cet accord bilatéral tombe sous le coup d’un embargo américain sur les ventes d’armes russes.

Le journaliste évoque ainsi l’existence de «fortes pressions américaines, comme il y en avait sur la Turquie, pour que l’Inde ne s’équipe pas en S-400.»

Le chef du Pentagone, Lloyd Austin, ne s’est pas privé d’affirmer que ce risque de sanctions existait: «nous demandons à nos alliés […] d’éviter le genre d’acquisitions qui pourraient déclencher des sanctions.» Mais l’Inde est-elle réellement l’alliée des Américains?

Sputnik

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