Nathalie Sidibé sur l’avenir de la démocratie au Mali: ‘‘la politique ne doit plus être perçue comme un raccourci pour s’enrichir’’

Madame Nathalie Sidibé est Consultante cartographie numérique et système d’information géographique et analyste des données. Elle est l’initiatrice de la 1re plateforme web axée sur le suivi de l’Aide au Développement (saidmali.ml) qui lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. Dans une interview qu’elle a bien voulu nous accorder, elle nous livre son opinion de la situation générale du pays.

Info Matin : quelle analyse faites-vous de la situation politique du Pays, après la démission du Président de la République le 18 août dernier ?
Nathalie Sidibé : nous sommes aujourd’hui dans une situation difficile, car presque tous nos partenaires ont suspendu leurs financements au niveau de notre pays. Nous sommes également sous embargo de la CEDEAO, car celle-ci n’accepte pas du tout qu’un Président élu démocratiquement soit démis de ses fonctions suite à un coup d’État. Nous avons également connu cette situation en 2012 suite au coup d’État survenu contre ATT.
Nous continuerons certainement à subir ces sanctions jusqu’à ce qu’il y ait un consensus entre les militaires et la CEDEAO par rapport à la gestion de la Transition. La situation est donc critique et nous ne pouvons pas continuer ainsi. Je pense que les militaires le comprennent également, raison pour laquelle ils ont organisé une concertation nationale, afin de travailler avec toutes les forces vives de la nation pour définir une feuille de route pour un retour rapide à la normale.

Que pensez-vous de ce coup d’État ?
Pour tout démocrate, le coup d’État est à condamner, quel que soit le type de gouvernance des régimes démocratiquement élus. On ne peut pas prétendre résoudre les problèmes par les coups d’État, car ils ne résolvent rien dans une démocratie. Quand des leaders démocratiquement élus dans une démocratie par les peuples sur toute l’étendue du territoire et que ces derniers n’arrivent pas à satisfaire les attentes des peuples, les sanctions doivent se faire dans les urnes, à travers les votes et non par des coups d’État. Si nous pensons réellement qu’il faut chaque fois chasser un dirigeant par un coup d’État parce qu’il ne satisfait pas nos attentes, nous n’allons certainement jamais nous en sortir, car l’instabilité des institutions ne favorise pas le développement durable d’une nation.
Toutes les grandes nations se sont développées parce que leurs institutions sont stables. La guerre, les crises, les conflits sont des freins pour le développement des pays pauvres, mais quand leurs institutions sont stables, ils ont de fortes chances de pouvoir les résoudre avec l’appui des partenaires nationaux et internationaux et de se développer durablement.
Nous devons comprendre cela ; soit nous acceptons de rester démocrates et donc de sanctionner les dirigeants, les leaders par les urnes quand ils ne répondent pas aux attentes, soit on décide d’expérimenter un autre régime politique.
De mon point de vue, les coups d’État ne sont jamais une solution dans une démocratie et si jamais on s’entête à les encourager parce que tout simplement on n’aime pas la tête d’un dirigeant, parce que nos intérêts personnels ne sont pas satisfaits et que nous initions des activités déstabilisatrices de nos institutions, nous continuerons à être témoins d’éternels retours en arrière.
Cependant, si nous voulons aller très loin, nous devons réfléchir, nous dire les vérités et convenir du type de régime et d’une société que nous voulons. Ainsi, si nous sommes tous et toutes persuadés de vivre dans un pays démocratique digne de ce nom, nous devons respecter et sauvegarder les valeurs démocratiques et œuvrer pour la stabilité dans notre pays et de relever les défis qui nous sont communs, afin de construire une nation forte.
Nous devons également apprendre à valoriser nos voix lors des élections, afin de pouvoir élire des personnes qui ont déjà fait preuve de leurs engagements pour le développement de ce pays, des personnes que nous croyons et savons capables de réussir, d’atteindre les objectifs que nous nous fixons.
En tant que peuple, il est de notre responsabilité d’apporter le changement auquel nous aspirons en refusant de vendre nos voix et notre dignité aux plus offrants, autrement, nous devons nous attendre à des conséquences de mauvaise gouvernance.

Que pensez-vous des sanctions de la CEDEAO ?
Les sanctions de la CEDEAO sont normales parce que le respect et la sauvegarde des valeurs démocratiques sont une des missions de cette institution. Donc, chaque fois qu’il y a coup d’État, quel que soit le pays dans la zone CEDEAO, les sanctions tombent automatiquement et continueront jusqu’au retour à la normalité. C’est donc tout à fait normal que la CEDEAO réagisse ainsi pour dissuader d’autres initiatives de coup d’État dans la sous-région avec des répercussions au-delà de cette zone.

Quelles sont vos attentes par rapport à la concertation nationale initiée par le CNSP ?
Mes attentes par rapport à la concertation sont nombreuses. C’est pourquoi j’ai participé à la validation des termes de références et j’ai été témoin de la volonté du peuple à s’unir et avancer pour l’essentiel.
Nous avons eu l’opportunité de faire des propositions et espérons que celles-ci seront prises en compte.

Pour avoir une démocratie solide, quel conseil avez-vous à donner aux hommes politiques ?
Les hommes politiques au Mali doivent comprendre qu’on ne fait pas de la politique pour se servir, on fait la politique pour servir la population qui élit, qui croit en toi et qui place tout son espoir en toi.
Les politiciens maliens doivent rompre avec leurs anciennes habitudes qui n’honorent pas du tout la politique. Ils doivent comprendre qu’ils sont serviteurs du peuple et doivent se comporter comme tels. La politique ne doit plus être perçue comme un raccourci pour s’enrichir au détriment du peuple.
S’ils souhaitent devenir milliardaires, qu’ils se créent des entreprises pour des prestations de services selon leurs compétences.
Pour la construction d’un Mali nouveau, ils doivent créer des cadres d’échanges et de dialogues francs avec les populations pour être à leur écoute, afin de mieux répondre à leurs besoins cruciaux et de rétablir la confiance dont ils jouissaient auprès d’elles dans le temps.

PROPOS RECUEILLIS PAR MODIBO KONE

Info-Matin

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