Mali: Ce que décidera la CÉDÉAO

Le ballet politico-diplomatique au chevet de notre pays confronté à l’une des pires crises de son histoire récente se poursuit, avec comme chef d’orchestre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Après la Mission d’information ministérielle, la Mission de bons offices, la Mission de haut niveau des chefs d’État qui n’a pas fait de communiqué final, une conférence par visio-conférence, ce lundi, devrait permettre de prendre d’importantes décisions concernant notre pays. Que peuvent-elles être ?

I-CE QUI S’EST PASSÉ JUSQU’ICI ?
La CEDEAO, guidée par des principes fondamentaux notamment, l’Égalité et l’interdépendance des États membres, la Promotion et la consolidation d’un système démocratique de gouvernement dans chaque État membre tel que prévu par la déclaration de principes politiques adoptée le 6 juillet 1991 à Abuja, le Maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionale par la promotion et le renforcement des relations de bons voisinages, entre autres, dès les premiers soubresauts dans notre pays, s’est saisie de la question. Ainsi, sur instruction du Président en exercice de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Président de la République du Niger, Mahamadou Issoufou, une délégation ministérielle s’est rendue dans notre pays, du 18 au 20 juin 2020 pour une mission de bons offices dans le cadre de la situation socio-politique du pays. Ce, conformément aux dispositions du Protocole Additionnel de la CEDEAO sur le Démocratie et la Bonne Gouvernance.

Situation explosive
Après cette mission socio-politique est devenue carrément volcanique. Les leaders du M5-RFP décident de ne plus reconnaître Ibrahim Boubacar KEITA comme Président de la République, décrètent la désobéissance civile qui tourne à l’émeute avec des morts et des blessés lors des manifestations des 10, 11, et 12 juillet ; mais également d’importants dégâts matériels. La CEDEAO dépêche une nouvelle Missions de bons offices conduite par l’ancien Président nigérian Goodluck Jonathan. Le Médiateur est soutenu par Kalla Ankourao, Ministre des Affaires étrangères, de la Coopération, de l’Intégration africaine et des Nigériens à l’étranger de la République du Niger, Président en exercice du Conseil des Ministres de la CEDEAO, Jean-Claude Kassi Brou, Président de la Commission de la CEDEAO et du Général Francis Béhanzin, Commissaire aux Affaires politiques, Paix et Sécurité de la CEDEAO ainsi que des Experts constitutionalistes.
À l’issue des différentes consultations avec toutes les parties prenantes, la Mission a noté que les problèmes de la crise sociopolitique s’articulent autour des questions de gouvernance ainsi que des points déjà soulevés par la Mission ministérielle de la CEDEAO du 18 au 20 juin 2020, notamment :
a-la reconstitution de la Cour Constitutionnelle après l’abrogation du décret de nomination de ses membres ;
b-la résolution du litige concernant les 31 sièges contestés au Parlement ; et
c-la formation d’un gouvernement d’union nationale.
À ces points s’ajoutent les préoccupations liées aux événements tragiques des 10, 11 et 12 juillet 2020.

Les propositions de solutions
À cet égard et suite aux différentes consultations, la Mission de médiation a formulé les propositions suivantes de sortie de crise :
En ce qui concerne la reconstitution de la Cour constitutionnelle, la mission recommande, en attendant le règlement des différends sur les élections législatives, que la Présidence de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature nomment chacun trois (3) membres de la Cour Constitutionnelle. Les nominations relevant du Président de la République se feront sur une base consensuelle, en associant toutes les parties prenantes, en conformité avec l’article 91 de la Constitution de la République du Mali de 1992. Les six (6) membres de la Cour nommés satisfont ainsi l’exigence du quorum. La Cour ainsi reconstituée devra délibérer et réexaminer les résultats des élections législatives concernant les trente et un (31) députés en question.
Après la résolution du litige sur les 31 sièges de l’Assemblée Nationale par la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale reconstituée pourra, sur une base consensuelle, nommer ses trois (3) membres pour compléter la formation de la Cour Constitutionnelle
Par ailleurs, il est nécessaire de mettre en place, de toute urgence un gouvernement d’union nationale, sur la base du consensus et tenant compte des recommandations du Dialogue National Inclusif et des propositions de répartitions suivantes.
a-Cinquante pour cent (50%) des membres du gouvernement proviendront de la coalition au pouvoir ;
b-Trente pour cent (30%) des membres du gouvernement proviendront de l’opposition ; et
c-Vingt pour cent (20%) des membres du gouvernement proviendront de la société civile.
Ces propositions ont été purement et simplement réjtées par le M5-RFP. Dans un communqiuyé daté du 20 juillet, il dit : ‘’(Par ailleurs), les arrangements institutionnels proposés par la Mission de la CEDEAO constituent un modèle typique de violations de la Constitution du Mali, alors que le M5-RFP, lors des différents échanges, s’est inscrit dans le respect des dispositions constitutionnelles du Mali, des protocoles et engagements communautaires’’.
Les cabrioles du M5-RFP ne suffisent pas à décourager la CEDEAO, même si un certain agacement est perceptible. Ainsi, toujours dans la dynamique de contribuer à l’apaisement du climat sociopolitique, le Mali a reçu le jeudi 23 juillet 2020, une délégation de très haut niveau de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) composée de chefs d’Etats et plusieurs autres personnalités de la sous-région : Mahamadou ISSOUFOU, Président de la République du Niger et Président en exercice de la CEDEAO ; Alassane OUATTARA, Président de la République de Côte d’Ivoire ; Nana Akufo- Addo, Président de la République du Ghana ; Muhammadu BUHARI, Président de la République fédérale du Nigéria ; Macky SALL, Président de la République du Sénégal ; Goodluck Jonathan, Médiateur du Président en exercice de la CEDEAO ; Kalla Ankourao, Ministre des Affaires étrangères, de la coopération, de l’Intégration africaine et des Nigériens à l’étranger de la République du Niger, et Président en exercice du Conseil des Ministres de la CEDEAO ; Jean Claude Kassi BROU, Président de la Commission de la CEDEAO ; Général Francis Béhanzin, Commissaire aux Affaires Politiques, Paix et sécurité de la CEDEAO. Cette mission a écouté l’ensemble des parties à la crise, sans faire de communiqué final, annonçant une visioconférence, ce lundi des chefs d’État sur le dossier du Mali.

L’optimisme de la CEDEAO
Lors de la conférence de presse organisée pour faire le point de leurs travaux, le Président de la République du Niger, SEM Mahamadou ISSOUFOU, Président en exercice de la CEDEAO s’est dit optimiste quant à la décrispation du climat socio-politique au Mali.
« Nous nous réjouissons de constater que tous les acteurs sont soucieux de la nécessité de trouver une solution rapide et définitive à la situation qui prévaut dans le pays », s’est réjouis le Président ISSOUFOU.
L’Imam Mahmoud DICKO dont le discours a été qualifié de ‘’courageux et hautement patriotique’’ par le M5-RFP dans son communiqué du 24 juillet, balance à sa sortie d’audience : « les lignes n’ont pas bougé. Rien n’a bougé pour le moment. On ne nous a rien dit que je puisse comprendre. Je voulais le dire très sincèrement. Il le dit et je le redis : nous sommes un peuple debout, nous ne sommes pas soumis ou résigné. Je préfère mourir martyre que de mourir traitre. Les jeunes gens qui ont perdu leur vie ne l’ont pas perdu pour rien. Je pense que rien n’a été fait pour le moment ».
Le M5-RFP, dans son communiqué, une nouvelle fois (décidément on prend goût à la valse), retire de la liste de ses exigences, la démission forcée inconditionnelle du Président de la République qui n’en est pas un depuis le 10 juillet, début de la désobéissance civile : ‘’au demeurant, notant la préoccupation des Chefs d’État relative à la « ligne rouge » interdisant tout changement anticonstitutionnel de régime, le M5-RFP rassure que les exigences et actions populaires du Peuple malien s’inscrivent dans le respect les dispositions constitutionnelles maliennes et celles communautaires de la CEDEAO’’.

L’appel à la responsabilité
La France salue la forte implication de la CEDEAO dans la résolution de la crise malienne, par le déplacement à Bamako, jeudi 23 juillet, d’une mission de cinq chefs d’État de la région et par sa décision de tenir un sommet extraordinaire ce lundi 27 juillet.
La France reste cependant préoccupée par le retard pris dans la mise en œuvre des recommandations déjà émises. Celles-ci offrent les voies pour sortir de la crise que connaît le pays depuis de nombreuses semaines, pour rétablir la légitimité des institutions mises en cause, la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale, et répondre aux demandes de l’opposition et la société civile, dans le strict respect de la Constitution.
La France appelle les membres concernés de ces institutions à tirer au plus vite, dans un geste d’apaisement, les enseignements de la crise et du résultat des médiations successives déployées par la CEDEAO.
La France rappelle que le Mali est confronté à de multiples défis sur le plan de la sécurité et du développement économique et social, qui préoccupent l’ensemble des Maliens, les pays de la région et la communauté internationale, qui est massivement engagée aux côtés du Mali.
La France appelle donc l’ensemble des parties à faire preuve de responsabilité et à s’engager dans un dialogue sincère pour aboutir à des mesures consensuelles avant l’échéance du 31 juillet fixée par la CEDEAO.

II-Ce qui pourrait se passer
La démission forcée du Président de la République ne fait pas partie des scenarii de sortie de crise. La CEDEAO ne badine pas là-dessus ; c’est une ‘’ligne rouge’’ qui ne peut être franchie. On peut lire à cet effet dans le Communiqué de la Mission de la CEDEAO sur la résolution de la crise socio-politique au Mali : ‘’la Mission rappelle également l’importance et la nécessité du respect des Institutions de la République, notamment les voies constitutionnelles pour l’accession au pouvoir et ce, conformément au Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO. Aucune forme de changement non constitutionnel d’accession au pouvoir ne sera acceptée par la CEDEAO’’.
Selon des sources, à l’issue de ces consultations des parties à la crise malienne, sans surprise, il ressort des communications officielles que les 5 chefs d’État de la CEDEAO ont décidé du maintien du Président IBK au pouvoir avec toutes ses prérogatives constitutionnelles.
Parmi les décisions qui pourraient être prises aujourd’ui par la conférence extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO, il y a, selon le confrère Nouhoun KEITA, le départ du Premier ministre Boubou CISSE, de la formation d’un Gouvernement d’union nationale avec ceux des opposants qui acceptent d’y participer avec un Premier ministre consensuel, de la dissolution de l’Assemblée nationale. Ce scénario recueillerait l’adhésion de la CMAS et d’autres composantes du M5/RFP.
Il reste néanmoins que certaines composantes de la Contestation, à l’instar du Mouvement Espoir Mali Kanu (EMK) restent inflexibles sur le départ du Président IBK.
Le confrère cité plus haut, dans une publication s’interroge. Cependant, ces recommandations des Chefs d’État vont-t-elles satisfaire certains dirigeants et militants du M5/RFP qui ne veulent pas du tout le maintien d’IBK à la tête du pays? Le départ de Boubou CISSE sera-t-il accepté par le camp présidentiel qui ne veut pas entendre du tout le limogeage de celui qu’il considère comme la dernière carte de président IBK ?
Ensuite, le parachutage d’un Premier ministre en dehors des vrais acteurs nationaux plus au fait des problèmes auxquels les maliens sont confrontés et qui étaient sur le terrain (on chuchote dans les coulisses plusieurs noms) mettra le feu aux poudres. On parle d’intenses tractations pour imposer un choix aux maliens afin de renforcer la tutelle et le contrôle sur le pays.
Des réseaux d’influence tireraient les ficelles (la loge franc maçonnique) et batailleraient férocement pour remporter la manche.
Si Blaise Compaoré avait réussi à placer ses protégés au plus haut niveau de l’appareil d’État, la CEDEAO réussirait-t-elle cette fois ci?

L’opération de charme du M5
Lors de la conférence de presse au cours de laquelle le Président en exercice de la Conférence des Chefs d’État, Mahamadou Issoufou, a annoncé un sommet extraordinaire des Chefs d’État par visioconférence, ce lundi. Selon de nombreuses sources vivement préoccupées par la situation sociopolitique au Mali, l’organisation sous régionale pourrait sonner la fin de la chienlit, et des hostilités en décidant des sanctions contre les hiérarques de la contestation. Mais, en arriverons-nous jusqu’à cet extrême ? Il n’est pas certain ; par que les discours incendiaires relèvent beaucoup plus de la mise en scène, que d’un projet intangible. La preuve, nous sommes à trois reculades concernant la démission forcée inconditionnelle du Président de la République. Après la Mission de très haut niveau de la CEDEAO, il ressort du communiqué que non seulement il abdique sur cette revendication ; mais qu’il lance une opération de charge à l’endroit de l’organisation communautaire. ‘’En convoquant un Sommet extraordinaire sur la crise politique au Mali, ils nous témoignent, non seulement leur attachement profond au Mali, mais également toute leur considération pour notre combat. L’absence de communiqué final indique que les Chefs d’État analysent la crise actuelle au-delà des contentieux électoraux qui, il est vrai, en ont été les signes révélateurs.
En tout état de cause, les Chefs d’État de la CEDEAO ont certainement compris que notre refus d’approuver le communiqué de la Médiation ne relève pas d’une volonté de défiance, mais plutôt de notre souci d’attirer l’attention sur toute la profondeur de la crise et la meilleure manière de lui trouver une solution durable’’, peut-on lire dans le communiqué qui est une figure parfaite de palinodie.

L’impératif d’intégrer l’APR
Il faut par ailleurs tenir compte des alertes de Mossa Ag Attaher, leader de la CMA (Coordination de mouvements de l’Azwad), dont ce post sur sa page Facebook : “toute recherche de solution à la crise au Mali qui commettrait la monumentale erreur de ne pas associer la CMA et les autres mouvements signataires de l’APR (Accord pour la paix et la réconciliation au Mali) aux consensus et compromis actuellement à l’étude serait suicidaire sur le court, moyen et long termes”.
Pire, d’autres responsables de l’ex-rébellion vont jusqu’à prévenir que toute prise du pouvoir par la force à Bamako ouvrirait la voie à l’indépendance de la chimérique République d’Azawad. Une velléité mise en veilleuse depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger.
Pour ce qui est de la suite du processus de sortie de crise, la trêve décrétée dans l’observation de la désobéissance civile est une aubaine pour poursuivre dans la sérénité les discussions avec les différentes parties. En attendant, pour éviter l’enlisement souvent synonyme de pourrissement, la conférence extraordinaire des Chefs d’État de la CEDEAO de ce jour, lundi 27 juillet, par visioconférence, s’annonce déterminante, quand bien même, nous sommes un peuple debout, pas résigné.

PAR BERTIN DAKOUO

Info-Matin

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