Invasion de criquets pèlerins: «le Kenya est le plus touché»

L’ONU a tiré le signal d’alarme la semaine dernière à propos des invasions acridiennes qui ont envahi la Corne de l’Afrique. L’organisation a annoncé lever 76 millions de dollars – une large partie devrait être utilisée pour financer les opérations sur le terrain. Keith Cressman est la seule personne au monde qui repère, surveille et traque les mouvements des essaims de criquets pèlerins, pour l’Organisation des Nations unies pour la nourriture et l’agriculture (FAO).

Carrie Nooten : Certains essaims de criquets pèlerins ont envahi le Kenya dès décembre, quelle est la situation actuelle, et quels sont les dégâts ?
Keith Cressman : Les principaux pays concernés sont ceux de la Corne de l’Afrique – l’Éthiopie, la Somalie et le Kenya. Le Kenya est le plus touché en ce moment parce qu’il a été envahi par de larges essaims à travers tout le pays. En fait, il y a juste quelques jours, des essaims ont traversé la frontière vers la Tanzanie, et à l’ouest du Kenya, un autre essaim a traversé vers l’Ouganda. Ce sont des mouvements extrêmement rares : ces deux pays n’avaient pas vu de criquets pèlerins depuis 1961. À cause de la longue absence d’invasions d’essaims de criquets pèlerins dans la corne de l’Afrique, c’est très difficile pour les pays de répondre de manière rapide et efficace. Parce qu’ils n’ont pas les infrastructures nécessaires, ou les moyens ! Personne ne se rappelle avoir jamais vu d’essaims, à part dans les histoires de leurs grands-parents. Donc c’est vraiment très difficile.

En plus bien sûr, la Corne de l’Afrique est assez fragile en termes de sécurité alimentaire et moyens de subsistance : il y a eu une série de sécheresses par le passé, maintenant il y a les inondations. Donc, déjà les gens sont exposés à un grand risque de famine. Ils sont 10 millions environ à avoir atteint le seuil de la famine, et ils sont 20 millions, je pense, pour la tranche d’après.

Quelles sont les causes ? Comment se retrouve-t-on d’un coup avec des centaines de millions de criquets ?
C’est lié aux phénomènes météo bien sûr… Il y a 18 mois, un cyclone est venu de l’océan Indien, en mai 2019. Il a apporté des pluies très importantes à la péninsule arabique, appelée « le quartier vide » (Empty Quarter, Rub’ al Khali) qui est bien comme son nom l’indique : vide. Il n’y a rien là bas, aucune infrastructure, aucune trace humaine, aucune route… uniquement de grandes dunes de sable. Et bien sûr, il y a eu les vents qui ont amené les criquets pèlerins, probablement d’un peu partout, jusqu’à ce petit coin concentré où il a plu. Cela a permis aux criquets pèlerins de se reproduire pendant 6 mois, et alors que ça allait commencer à s’assécher, un autre cyclone s’est abattu sur la zone. Et cela a permis aux criquets de continuer à se reproduire. Et probablement, sur cette période de fin de 2018-début de 2019, on estime que le nombre de criquets a été multiplié par 8 000. Ils n’ont pas été détectés et n’ont donc pas pu être traités.

Vous êtes en train de lever 76 millions de dollars, comment cela va-t-il permettre de diminuer la propagation de criquets pèlerins ? Comment allez-vous effectuer les contrôles ?
Sur cette levée de fonds de 76 millions de dollars lancée par la FAO, la moitié servira à financer des opérations. Dans ce cas-ci, les opérations, c’est surtout une opération aérienne de contrôle – par des avions qui volent bas et pulvérisent du pesticide directement sur les essaims qui sont à terre. Nous devons utiliser des avions à cause de l’étendue de la magnitude du problème. Il est juste impossible de traiter toutes ces infestations simplement depuis le sol. Bien sûr, nous utilisons des pesticides, mais ce sont des produits sans danger… ils se dissolvent après 24 heures, ils se décomposent dans l’environnement – et ne sont plus efficaces.

En plus, pour obtenir de bons résultats, il faut que le produit soit pulvérisé sur les insectes, les criquets, directement. Enfin, la formulation de ce pesticide le fait rentrer dans la catégorie des « ultra low volume ». Ce qui signifie qu’on peut pulvériser une toute petite quantité, mais qu’elle sera fortement concentrée. Et donc pour cette raison, les agriculteurs et les communautés ne peuvent entreprendre eux-mêmes les opérations de contrôle des criquets pèlerins. Elles seront réalisées par des équipes bien équipées, d’un matériel qui les protège, et qui appliqueront le pesticide sur les criquets directement pour un résultat optimal.

Vous diriez qu’on est déjà dans la crise la plus importante de criquets pèlerins à laquelle on n’a jamais fait face 
Non, nous n’en sommes pas encore là, cela pourrait devenir bien pire ! La fois dernière, il y a 15 ans, il a fallu deux ans pour que nous reprenions le contrôle. On avait dépensé près de 600 millions de dollars, et pulvérisé 12 millions d’hectares de champs. Alors que jusqu’à présent, nous n’avons traité que 2 millions d’hectares – pas dans la Corne de l’Afrique, mais dans d’autres endroits où les invasions se développaient l’an dernier. Comme vous pouvez le voir, pour le moment nous n’avons demandé que 76 millions de dollars, mais bien sûr, ce chiffre va augmenter. Si on imagine le pire scénario, que les opérations de contrôle ne sont pas efficaces comme elles le devraient, qu’elles ne sont pas élargies comme elles le doivent en urgence maintenu, et que la météo reste favorable aux criquets pèlerins, alors oui, peut être que d’ici la fin de 2020, on devra requalifier le phénomène en fléau.

RFI

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