Couvre-feu : récit d’une nuit dans un commissariat de Bamako

Notre blogueur Aly Bocoum a été interpelé par les agents d’un commissariat de Bamako, dans la nuit du lundi 27 avril au mardi 28, pour « non-respect du couvre-feu », institué pour limiter la propagation du Covid-19. Il nous livre son témoignage.

Lundi 27 avril, il est 22h passées à Yirimadio, un quartier populaire de la  commune VI du district de Bamako. Les rues se vident petit à petit. Le ballet de horde humaine revenant des sites de prières surérogatoires en cette période sainte de ramadan se fait rare. Dans ma rue, non loin de celle d’un influent député de la République, un regroupement informel de trois voire quatre jeunes, sur le qui-vive, est visible.

Depuis l’instauration du couvre-feu de 21 h à 5h du matin, le 26 mars, pour freiner la propagation de la pandémie du Covid-19, les habitudes nocturnes ont évolué dans nombre de quartiers de la capitale malienne, autrefois joyeuse et lit de tous les excès.  L’impressionnante mobilisation des forces de sécurité y est pour beaucoup quant au respect quasi religieux de ce régime d’exception à ses débuts.

Baisse de vigilance 

Trois semaines après, la présence des patrouilleurs y est sporadique. Les vendeurs d’échoppes en profitent pour améliorer leurs revenus en cette période de vaches maigres. Alors que les « grins » semblent trouver un certain souffle. C’est dans cette période de «baisse de vigilance» que j’ai été interpelé, devant ma maison, au moment où je sortais acheter ma provision de pain pour le « sougouri », le dernier repas précédent le jeûne musulman, dans une boutique contiguë à la maison. Il était 22h10 exactement, lorsque nous avons été surpris par l’équipe de patrouille dont certains étaient à moto. Le boutiquier, lui, grâce à l’agilité de ses jambes, a pu s’échapper. Tandis que moi, j’ai gardé mon sang froid et ma sérénité. Sans aucune forme de résistance, j’ai exécuté l’ordre de « monter dans le véhicule », qui s’est immobilisé sous mes pas.

Au bord de la voiture de patrouille, nous sommes environ huit compagnons d’infortune. Encadrés par quatre policiers, nous nous sommes retrouvés au commissariat quelques minutes plus tard. Sur place, on nous intime l’ordre de descendre, puis nous dirige vers le poste, tenu ce soir-là par le commandant Cheick, un cinquantenaire, de teint clair, la poitrine large pour à peu près un mètre quatre-vingt-dix de taille.

L’officier de police procédait à l’identification d’un premier groupe. Dans la minuscule salle de quatre mètre carré, nous étions une quinzaine d’interpelés, répartis entre deux chaises métalliques. Au fur à mesure que le commandant Cheick établissait la liste  et enregistrait les objets en notre possession, un autre agent relevait notre température à l’aide d’un thermoflash. Dans cette attente, je balbutie cette question : « Est ce qu’il y a une dérogation, par exemple, pour sortir chercher à manger? » Le commandant du poste et l’agent à ma droite, qui relevait la température, essayent d’y répondre.

Risque de contraction de maladies plus accru

Puis, j’insiste : « Le couvre-feu prévoie certaines dérogations… » Un autre officier, agacé par mon insistance, s’emporte et lance : « Tu es Guinée? ». « Non », ai-je répondu. « Le couvre- feu, c’est à partir de 21h. Les dérogations, c’est quand tu accompagnes un malade ou une femme enceinte par exemple», tente de répondre le limier intrigué par mon insistance à trouver une circonstance atténuante. Il coupe court à la discussion, ordonne aux hommes de ne pas s’occuper de ces genres de doléances. Le ton qu’il employait laisse croire que c’est lui le supérieur hiérarchique.

La phase d’identification terminée, un agent de police nous conduit vers une cellule de 6 m sur 3, située à l’extrême ouest de la cour du commissariat, où nous attendait un taximan trentenaire, cueilli dans le même cadre des patrouilles que notre groupe. À l’entrée de la pièce, est installé un dispositif de lavage des mains au savon. Mais les policiers sont peu regardants sur cet aspect pourtant plus efficace que tous les gestes barrières. J’étais le seul à avoir accompli le rituel de lavage de mains parmi le groupe. C’était la dernière étape avant qu’on nous boucle comme un troupeau de bétail qu’on ferme dans son enclos. Beaucoup d’entre nous vivaient leur première expérience en milieu carcéral.

Dans la cellule, l’odeur était pestilentielle. La toilette était bouchée de sachets plastiques. Des cafards et moustiques festoyaient à la vue de ce petit monde. À l’intérieur de la salle, le risque de contraction de maladies est plus accru. En plus du coronavirus, à l’origine du couvre-feu, nous sommes à la merci d’autres pathologies beaucoup plus mortelles.

Après quelques échanges de familiarité, chacun relate les circonstances de son interpellation comme le placide Tidiane Guindo, commerçant appréhendé devant sa boutique, mais qui est resté serein jusqu’au bout de l’épreuve. Certains ont été interpelés étant au « grin », sans avoir pris le premier verre de thé. D’autres alors qu’ils rentraient de voyage à l’intérieur. C’est le cas de quatre de mes compagnons d’infortune. Sidy Mohamed a quitté Niono le matin du 27 avril. Le jeune homme, qui dit souffrir d’un problème d’estomac, était en compagnie entre autres d’un jeune vendeur d’échoppe à Sabalibougou et un autre « pousse-pousseur ». Ils revenaient dans la capitale, après un séjour au « bled ».

19 interpelés entassés les uns sur les autres

À 23 heures, nous commencions à réaliser notre indélicatesse. Les va-et-vient des agents entre le poste et la cellule, ramenant de nouveaux indélicats et repartant avec d’autres, sans explication, se multiplient à mesure qu’avance la nuit. Aux alentours de minuit, la petite cellule ne peut plus nous contenir. Nous étions 19 interpelés, entassés les uns sur les autres. Difficile dans, cette condition, d’appliquer les gestes barrières encore moins de respecter la distanciation sociale.

Les murs du cachot étaient tachetés, des toiles d’araignées tissées çà et là. On peut y lire également des écritures comme «Préférés à la mort vos la honté», «  l’espace dit tigre…», «FANGA», «CHE», «marijuana» ou encore «Fuck la police». D’autres graffiti portant notamment sur des numéros de téléphones ou des noms de « grin » ornent l’édifice et renseigne sur sa sociologie.

À 00h30 environ, un silence de cimetière règne à l’intérieur du gnouf. Une coupure d’électricité, qui a duré une trentaine de minutes, a renforcé le calme que troublait le ronronnement d’une vielle clim installée dans le bureau du premier responsable du commissariat. Nous méditions, chacun sur son sort, le regard tourné vers le bureau du chef de poste. Ceux qui ont eu le réflexe d’appeler des proches espèrent une intervention imminente. Personnellement, je ressassais plutôt mes cours de philosophie antique, dans lesquels se succèdent l’image de justicier d’un Socrate, la modestie des Stoïciens qui nous commandent d’accepter tout ce qui nous arrive avec courage. Plus le temps passe, plus mon esprit vagabonde à travers les siècles et les courants de pensée, faisant l’éloge de la justice tout en dénonçant l’arbitraire.

Ensuite, me vient à l’esprit un podcast de France Culture intitulé « Avoir raison avec Antonio Gramsci ». J’ai passé la matinée du 27 avril à écouter l’émission consacrée au journaliste, philosophe et homme politique italien. Gramsci a passé de nombreuses années en prison où il a écrit un véritable chef-d’œuvre 33 cahiers de prison.

Certains nuitamment sortis par les agents 

Au petit matin, lors du contrôle de routine, beaucoup manquent à l’appel. Quasiment, tous ceux qui sont nuitamment sortis avec les agents de sécurité sans jamais revenir. Une dizaine environ. Le contrôle récapitulatif a fixé notre nombre à 14. C’est le chiffre qui sera soumis au commissaire.

À 8h, un autre officier de police se présente à nous avec la liste mise à jour. Après le contrôle de présence, l’agent de police nous informe que ceux qui ont l’argent peuvent sortir en payant la contravention, fixée à 18 000 CFA contre un reçu. Mais comme je l’ai appris à ma sortie, il y avait bien une seconde option pour se tirer d’affaires. Il s’agit de payer 10 000 CFA sans reçu. J’ai choisi la première option. Au moment du remplissage du reçu, j’ai saisi une dernière occasion pour connaitre le sort des interpelés, une dizaine, sortis nuitamment sans revenir. « La loi s’applique-telle à tous ? Y a-t-il un traitement de faveur? », ai-je adressé à l’officier en face de moi.

Pour toute réponse, le commandant Cheick me dit cyniquement : «Nous ne pouvons pas retenir tous ceux que nous interpelons ». Certes, les moyens de la police sont souvent limités, mais ce n’est pas une raison pour encourager les traitements de faveur ou toute pratique de corruption. Le succès de la lutte contre le coronavirus passera par la transparence à tous les niveaux de la riposte, au plan sanitaire comme sécuritaire. Toute autre forfaiture ne fera que renforcer le scepticisme de Maliens qui continuent à voir la pandémie du coronavirus comme un « business », alimentant les réseaux de corruption.

Source : Benbere

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